Le torchon brûle entre factions au sein du M23, coiffées l'une par Runiga, l'autre par Makenga. Le premier opterait pour une insertion dans la dynamique de l'accord-cadre d'Addis-Abeba, tandis que le second tiendrait à en découdre sur le plan militaire avec visée de reprendre Goma. De l'AFDL au M23 en passant par le RCD et le CNDP, cette trajectoire est connue, par cœur. Cette cacophonie du faucon face à la colombe est un stratagème du régime de Kigali qui opère par des excroissances en démultipliant les interlocuteurs de Kinshasa.

«La situation sécuritaire au Nord-Kivu demeure tendue et imprévisible », répète régulièrement la Monusco. Une rengaine qui prend tout son sens, depuis que l'accord-cadre initié par les Nations unies a été signé par 11 Etats à Addis-Abeba. Jean-Marie Runiga, le chef de la branche politique du M23, se retrouve ainsi au centre d'une controverse au point d'être destitué par la branche militaire tenue par Sultani Makenga, et qui se veut détentrice du vrai pouvoir au sein de ce mouvement. Déjà, le dimanche 24 février 2013, des affrontements avec mort d'hommes ont été signalés entre les éléments agissant sur les ordres de l'ex-colonel Makenga et qui tentaient de désarmer la garde du pasteur-rebelle Jean-Marie Runiga.

De ces affrontements, plus d'une dizaine de morts parmi les militaires, mais aussi des civils notamment une journaliste d'une radio communautaire de Rutshuru. Jean-Marie Runiga n'aurait eu la vie sauve que grâce à un colonel proche du général renégat Bosco Ntaganda. Curieuse coïncidence quand on sait que ce dernier est recherché par le Cour pénale internationale.

Selon des médias lus et/ou captés à Kinshasa, le M23 se serait depuis transformé en un monstre à trois têtes. RFI relate les rapports en dents de scie entre Runiga et Makenga: «Guerre des chefs, problèmes de pouvoir et d'argent. Dimanche dernier, deux factions antagonistes se sont tirées dessus à Rutshuru. Une tentative de réconciliation, engagée le 26 février, a tourné court.

Les frères ennemis du M23, le chef politique Jean-Marie Runiga et le chef militaire le général Makenga se sont retrouvés le 26 février à deux occasions : d'abord aux obsèques d'un major tué lors des échanges de tirs entre les deux camps dimanche à Rutshuru. Dans une vaine tentative de faire bonne figure, les deux adversaires étaient assis côte à côte, dit un témoin. Mais ils n'ont pas échangé un regard. Ensuite, ils se sont retrouvés face-à-face dans une réunion de conciliation arbitrée par un officier ougandais venu spécialement pour recoller les morceaux.

Mais, cela a tourné court. L'Ougandais est reparti chez lui. Hier soir (le 26 février 2013), le chef politique du M23 Jean-Marie Runiga a même décidé de quitter sa résidence de Bunagana à la frontière ougandaise, parce qu'elle est dans la ligne de mire d'une pièce d'artillerie du clan Makenga sur une colline juste au-dessus. Runiga est allé se réfugier à Rutshuru sous la protection du général Baudouin, un fidèle de Bosco Ntaganda ».

Ce récit montre que sur le terrain le colonel Sultani Makenga, autoproclamé général depuis quelques jours, aurait renforcé ses positions sur les collines de Runyonyi. Pendant ce temps, le colonel Baudouin Ngaruye, fidèle à Bosco Ntaganda, s'est dirigé vers Rutshuru alors que Jean-Marie Runiga, chef politique du M23 aurait choisi de s'installer à Kibumba, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Goma, en raison de sa position stratégique par rapport au Rwanda.

Deux clans diamétralement opposés


L'accord-cadre d'Addis-Abeba signé le 24 février dernier ne clarifie pas la mission de la force d'intervention qui évoluerait sous la houlette de la Monusco. Une brèche que la branche dure, c'est-à-dire celle pilotée par Sultani Makenga, trouve pour consolider sa position, dans la perspective de reconquérir la ville de Goma. Au cas où les choses ne marcheraient pas dans le sens escompté.

Ce faisant, Kinshasa serait dans l'obligation de faire davantage de concessions afin d'éviter que d'autres évolutions viennent couper court à leurs prétentions. Tant que les négociations de Kampala piétineront, le M23 (l'aile dure) s'attelle à renforcer ses positions aux portes de Goma pour un éventuel assaut final sur Goma. Déjà, comme pour le confirmer, le porte-parole de la Société civile fait état de l'entrée sur le territoire congolais des éléments de l'armée régulière rwandaise. Cette information, livrée par Omar Kavota, est confortée par le fait que «des habitants de Mudja et Rusayo, pris de panique, ont quitté leurs habitations, trouvant refuge, les uns, à Goma et, les autres dans des camps des déplacés »de Goma.

Devenu interlocuteur de certains milieux internationaux, Jean-Marie Runiga comprend le risque qu'encourt son mouvement. Personnellement mis en indexe par les Etats-Unis, il n'entend pas s'entêter outre mesure. Quant à Sultani Makenga, qui prétend l'avoir évincé, reprocherait à son ex-président d'être proche d'un Bosco Ntaganda sous le coup de deux mandats d'arrêt de la CPI.

En avançant cet argument, Makenga démontre que Runiga n'est pas fréquentable. Il compte ainsi s'en servir afin d'éviter tout rapprochement avec Kinshasa. Le porte-parole du gouvernement n'avait-il pas lancé un clin d'œil en direction de «bons M23 »qu'ils pourraient bénéficier d'une amnistie ? Runiga n'étant qu'à sa première rébellion contre le régime de Kinshasa, il serait donc éligible à cette amnistie. Ce qui n'est pas le cas pour Sultani Makenga.

Une stratégie de Kagame


Les deux clans qui s'affrontent au sein du M23 ne font pas oublier aux Congolais la stratégie utilisée par Paul Kagame en cas d'échec du groupe qu'il avait instrumentalisé sur l'échiquier. Le modus opérandi adopté par le président rwandais consiste à faire oublier le M23, une raison sociale qui n'a plus bonne presse tant en RDC qu'au plan international. D'où, la scission actuelle. Le régime de Kigali se prépare (peut-être l'a-t-il déjà fait) à susciter de nouvelles têtes à coloration congolaise et qui s'afficheraient sous un nouveau label. Le M24, peut-être ?...

Débarrassé du logo répertorié sur la liste des forces négatives, le nouveau leadership ferait peau neuve et se présenterait comme interlocuteur attitré de Kinshasa au vu de l'évolution, avec le même cahier des charges actualisé. De leur maître inspirateur Kagame, l'ex-colonel exécute une stratégie qui vise à faire de Bosco Ntaganda un objet d'échanges. La traque pour «prendre Bosco Ntaganda et le livrer à la CPI »serait déjà enclenchée. Une fois Bosco Ntaganda maîtrisé, la communauté internationale prendrait Sultani Makenga au sérieux ; ce qui l'aiderait à couper ainsi l'herbe sous le pied aux «bons du M23 »vis-à-vis de la communauté internationale.

En se positionnant en aigle, Paul Kagame disposerait de deux fers au feu et pourrait les utiliser au gré des événements. D'un côté Makenga, avec les faucons du mouvement, va tenter de maintenir la pression militaire, tout en offrant à la face du monde la preuve de sa capacité à répondre promptement à toutes les exigences, en offrant la tête de Bosco Ntaganda à la CPI. De l'autre, Runiga, une colombe, démontrant ainsi que le mouvement peut présenter une image moins cruelle, fréquentable par les uns et les autres.

Avec ces deux possibilités, le président rwandais reste égal à lui-même pourrait rééditer les exploits connus.

Violents combats entre factions du M23 : déjà 36 morts


LP/RFI

La discipline tant vantée dans les rangs du M23 n'a pas résisté à l'épreuve de la signature de l'accord-cadre du 24 février 2013. Après la destitution de Runiga, la digue a cédé au point que présentement, il est fait état de violents combats entre les trois factions de ce monstre (à trois têtes) qu'est désormais le M23.

Selon RFI, «Les combats font rage dans le Nord-Kivu. L'ONU fait état de 36 morts, dont dix civils, dans les affrontements qui ont éclaté entre différentes factions du M23 hier jeudi 28 février après la destitution, la veille, de Jean-Marie Runiga, le président de la branche politique du mouvement du 23 mars. Sur le terrain, la confusion est grande ».

Les affrontements sont signalés à Kibumba, une localité située non loin de Goma, où se trouverait actuellement le chef déchu du mouvement, Jean-Marie Runiga. Ce qui confirme, de plus en plus, la stratégie de Kigali qui joue à la diversion, en plaçant utilement d'autres pions susceptibles de démontrer que les Congolais sont incapables de sécuriser la sous-région, une fois laissés seuls. Avec l'annonce de la récupération de Rutshuru par des prétendus FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) ou Maï-Maï Nyatura qui auraient profité de cette confusion au sein du M23 pour gagner du terrain.

Entre-temps, des dirigeants du M23, fidèles au colonel Sultani Makenga se sont retranchés à Bunagana, frontière avec l'Ouganda vidée de sa population.

36 personnes tuées dont 10 civils


Toujours selon RFI, d'autres combats, qui n'ont a priori pas de rapports avec la discorde au M23, ont lieu à Kitchanga. Là, il s'agit d'affrontements entre miliciens de plusieurs groupes ; les victimes sont surtout des civils. Un notable de la région a fait état à RFI de trente morts à Kitchanga. Eduardo del Buey, porte-parole adjoint de l'ONU, a fait, pour sa part, état de trente-six personnes tuées, dont 10 sont des civils.

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