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De l'accord de Lusaka à l'accord-cadre d'Addis-Abeba

De nombreux accords de paix, tous pilotés par la communauté internationale, ne font que s'accumuler dans le kaléidoscope de la RDC. De l'accord de Lusaka (1999), jusqu'au dernier en date signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba, l'ex-colonie belge peine à sortir du bourbier de l'insécurité dans sa partie orientale. La RDC se trouve prise dans un piège sans fin qui, au finish, tend à consacrer sa disparition dans les frontières héritées de la colonisation. En clair, c'est le schéma de la balkanisation. Aussi le Congo est-il toujours dans l'œil du cyclone.
Une remontée dans le temps s'impose pour comprendre les tenants et les aboutissements de la crise congolaise.

Le conflit qui a éclaté en RDC en août 1998 a suscité des réactions, des tentatives de médiation et de résolution dans lesquelles se sont impliqués des acteurs de tous bords. Tantôt lancées par les pays de la région, tantôt menées dans le cadre de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), de l'Union africaine, ou des Nations unies, ces différentes initiatives se sont entrecroisées. Pas toujours avec bonheur pour l'ex-colonie belge qui s'embourbe dans un marasme inextricable près de quarante ans après son indépendance.

Une première tentative d'envergure est menée le 10 juillet 1999 à Lusaka, capitale de la Zambie. Un accord dit de cessez-le-feu est signé par six chefs d'Etat et des représentants de la communauté internationale. Quelques protagonistes, notamment le RCD, soutenu par Kigali et déchiré par des crises internes et le MLC, appuyé par Kampala, le signeront plus tard.

Il faudra donc attendre la fin du mois août 1999 pour que l'accord de cessez-le-feu soit officiellement signé par toutes les parties, posant ainsi les jalons du Dialogue inter congolais, bouclé en 2002 à Sun City (Afrique en Sud) par la signature d'un Accord global et inclusif.

L'accord de Sun City ouvrira la voie à une transition de trois ans, sous une architecture institutionnelle bâtie sur la formule «1+4 ». Le mécanisme de suivi de l'accord de Sun City sera assuré par un Comité international d'accompagnement de la transition (CIAT), conformément aux dispositions de l'annexe IV de l'Accord global et inclusif. Le CIAT est composé de cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, de la Belgique, du Canada, de l'Afrique du Sud, de l'Angola, du Gabon, de la Zambie, de l'Union européenne, de l'Union africaine et de la MONUC. Son rôle était de garantir la mise en œuvre de l'Accord global et inclusif et de soutenir le programme de la transition en RDC.

L'histoire se répète

Passé la période de transition politique, les premières élections dites démocratiques sont organisées en 2006, avec son lot de ratés que l'on a vite fait de minimiser à l'époque. Une deuxième expérience électorale est vécue en 2011, sans que l'on arrive à se départir des tares de 2006. L'on crie à la fraude électorale et à la tricherie.

A peine la tempête électorale se calmait que, toujours de l'Est du pays, une nouvelle aventure guerrière se déclare. On est en avril 2012. Elle est signée M23, un groupe armé qui se réclame héritier de l'accord de paix signé le 23 mars 2009 à Goma (Nord-Kivu) entre le gouvernement et le CNDP, un de principaux groupes rebelles dont les éléments ont été intégrés dans les Forces armées de la RDC (FARDC). Le mouvement part d'une mutinerie avant de se muer en rébellion soutenue de manière claire par le régime de Kigali qui lui fournit armes, munitions et hommes de troupes.

Fort de ce soutien, le M23 progresse rapidement assiège Goma avant de l'envahir le 20 novembre 2012. Ce fut un affront fait à Kinshasa et à la communauté internationale qui, par le biais de la Monusco, n'a pas pu empêcher le M23 d'investir une ville présentée quelques jours auparavant comme un site de tous les enjeux dont on devait empêcher la chute.

L'opprobre était telle que la diplomatie a joué à plein régime pour que l'affront soit vite lavé. C'est à cela que les pays de la CIRGL vont parvenir à Kampala en obligeant le M23 à se retirer de la ville de Goma deux jours après l'avoir occupée. Les mêmes tractations de la CIRGL vont ouvrir la voie aux pourparlers entre Kinshasa et le M23. Et Kampala se chargera de la médiation.

Dans la foulée, s'invitent des rapports des experts des Nations unies qui accusent Kigali et Kampala d'être les parrains du M23, avec preuves à l'appui. Du coup, la situation sécuritaire en RDC préoccupe à nouveau toute la communauté internationale. Pendant que Kinshasa négociait à Kampala avec le M23, une autre initiative, pilotée par les Nations unies, se met en place à Addis-Abeba, siège de l'Union africaine. Le 24 février 2013 l'accord-cadre est signé par 11 pays de la région (CIRGL, SADC, CEEAC), le secrétaire général de l'ONU et la présidente de la Commission africaine.

Cet Accord-cadre d'Addis-Abeba est censé baliser les voies pour un retour de la paix durable au Congo. Pour en garantir la mise en œuvre, il est prévu un «mécanisme 11+4 en soutien aux efforts régionaux en cours (...) et un plan détaillé pour la mise en œuvre de l'accord (qui) sera développé conjointement, y compris l'établissement des critères et mesures de suivi appropriées ».

C'est ici que les observateurs constatent que l'histoire tend à se répéter. Immédiatement après la signature des accords de Lusaka, le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté l'envoi en RDC d'une force de maintien de la paix. Théoriquement, les tâches dévolues à cette force étaient immenses : maintien de la paix (chapitre 6 de la Charte ONU) et rétablissement de la paix (chapitre 7).

Seulement voilà. Plus de douze ans plus tard, la RDC n'a tiré aucun bénéfice de la présence des Casques bleus : ni maintien ni rétablissement de la paix. Les groupes armés, nationaux et étrangers, pullulent dans l'Est de la RDC et s'adonnent à cœur joie aux exactions les plus ignobles. La Monuc, transformée depuis en Monusco, se contentant de faire la comptabilité macabre.

Le piège

Bis repitita. L'accord-cadre d'Addis-Abeba a adopté le même modus operandi que celui de Lusaka. Il a prévu le déploiement d'une brigade spéciale d'intervention chargée de traquer et neutraliser tous les groupes armés répertoriés comme forces négatives. Au nombre desquelles figure le M23. En lieu et place du CIAT, on a adopté le mécanisme 11+4. Dans la foulée, l'accord-cadre d'Addis-Abeba recommande un dialogue national sans exclusive.

En superposant les deux accords, il ressort que la RDC serait sous tutelle de la communauté internationale. Le Congo est mis dans une situation telle qu'il lui est difficile de s'affranchir du piège lui tendu par les grandes puissances économiques et politiques. Ce schéma procéderait d'une logique devait aboutir à la balkanisation de ce géant au cœur de l'Afrique et dont les richesses naturelles sont convoitées par tous.

Dans un article publié sur son blog sous le titre «Un nouvel horizon s'ouvre-t-il à la RDC après l'accord-cadre pour la paix signé à Addis-Abeba ? », Kâ Mana, présente les limites de l'accord-cadre d'Addis-Abeba en ces termes : «Il manque avant tout au texte de l'accord-cadre une vraie foi en la paix. Le langage adopté, les méthodes proposées, les perspectives ouvertes présupposent toujours l'usage de la force militaire et de la violence des gouvernements pour contraindre ceux qui refuseraient d'obéir à se soumettre.

Les peuples ne sont ni évoqués dans leur capacité d'être des bâtisseurs de paix, ni invoqués comme pouvoirs créateurs de paix par des initiatives de l'intelligence, de la culture et des actions économico-financières ».

Kâ Mana, philosophe congolais et président de Pole Institute, estime que l'accord-cadre d'Addis-Abeba porte, dans une certaine mesure, les germes de son échec.

Allant dans le même sens, Bob Kabamba, politologue et professeur à l'Université de Liège, va droit au but et relève que l'accord-cadre d'Addis-Abeba consacre la mise sous tutelle de la RDC : «La démarche définie dans l'accord (d'Addis-Abeba), n'est pas sans rappeler la résolution 1565 du Conseil de sécurité qui mandatait l'ONU à accompagner la RDC dans le processus de fin de transition politique. Elle a contribué à l'organisation des élections, à la réforme du secteur de sécurité et l'installation des institutions politiques de la troisième République. Cette résolution plaçait de fait, la RDC sous tutelle. (...)

En 2013, la démarche proposée restreint une partie de la souveraineté nationale de la RDC. Les engagements pris seront supervisés par un comité de suivi régional dont font partie des pays apportant un soutien militaire au M23, source d'insécurité et responsable de plusieurs exactions contre les populations civiles dans la province du Nord-Kivu ».

Dans sa conclusion, Bob Kabamba indique que «il est important de rappeler les Accords de Lusaka signés en 1999 entre tous les belligérants de la première guerre congolaise, Sun City en 2002 mettant en place une transition politique, la Conférence de Goma en 2009 mettant fin à la rébellion du CNDP, l'accord de Pretoria (retrait des troupes rwandaises de la RDC), de Luanda (retrait des troupes ougandaises de la RDC) dont les résolutions qui restent encore d'actualité, n'ont jamais été complètement appliqués.

De nombreux autres accords ont déjà été passés ces dernières années, sans permettre de ramener une paix durable dans le Kivu, qui suscite toujours les convoitises en raison des richesses minières qu'elle recèle ».

Ce qu'il faudra retenir c'est que les intérêts de la RDC n'ont jamais été pris en compte par toutes ces initiatives de la communauté internationale. Dans une intervention le 11 février 2013 devant le think tank américain- The Brookings Institution- Johnnie Carson, sous-secrétaire d'Etat américain aux affaires africaines, a formellement décliné le schéma américain pour une paix durable dans l'Est de la RDC : «La seule manière de procéder consiste à adopter une solution subtile bénéficiant de l'appui de la communauté internationale ». Selon lui, la solution-miracle à mettre en œuvre en RDC est celle que les Nations unies ont expérimentée en Yougoslavie et au Soudan.

De Lusaka à Addis-Abeba, la RDC reste toujours dans l'œil du cyclone. Dans le fond, c'est sa balkanisation qui est visée.

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