M23

Etonnante arrogance du M23, à l'annonce du déploiement d'une brigade d'intervention dans les zones de tensions de l'Est de la RDC. Le ton est monté d'un cran. La rébellion entretenue simultanément par Kampala et Kigali entend en découdre militairement avec la coalition FARDC-Brigade spéciale de la Monusco. Le M23 est prêt à parer à toute éventualité, clame-t-on depuis son bastion de Bunagana dans le Nord-Kivu. En décrétant le déploiement de la brigade d'intervention, l'ONU joue plus que jamais sa crédibilité. Reculera-t-elle devant les menaces du M23 ? Défi !

Dans l'Est de la RDC, le décor d'une reprise imminente de la guerre est bien planté. Le M23 ne cache pas sa désapprobation du déploiement de la brigade d'intervention décidée par le Conseil de sécurité des Nations unies, à travers sa résolution 2098. En annonçant les couleurs, le M23 ne veut-il pas faire voir à la face du monde qu'il bénéficie toujours du soutien tous azimuts du Rwanda et de l'Ouganda ? En tout cas, c'est ce qui ressort de la première lecture de cet affront, à la limite trop osé de la part d'un groupe armé répertorié sur la liste des forces négatives indexées par la communauté internationale dans la région des Grands Lacs.

Une deuxième lecture conduit à cette supputation, selon laquelle le M23 brandirait cet épouvantail d'affrontement avec les Casques bleus dans le but de gagner du temps. Le temps que les pourparlers repris entre lui et Kinshasa aboutissent à un accord. Lequel accord servirait de sauf-conduit qui le soustrairait de la liste des forces négatives.
Va-t-on lui accorder cette planche de salut que défendent bec et ongles Kigali et Kampala ? Le M23 veut sauver sa peau et il ne recule devant rien. A Kampala où il bénéficie d'une attention inavouable de ses parrains, la force négative tente d'imprimer son tempo aux négociations, avec l'accompagnement de la médiation ougandaise, apparemment acquise à sa cause.

Le gouvernement qui se prête à ce jeu imposé par la CIRGL, est-il dupe à ce point ?

Frappé d'amnésie

Après la signature à Addis-Abeba de l'accord-cadre de paix dans la région des Grands, Kinshasa paraît presque disposé à jouer sur les deux tableaux. Pendant que se met en place le dispositif en vue du déploiement de la brigade d'intervention des Nations unies, Kinshasa ne s'est pas empêché de reprendre la route de Kampala. Du coup, il fait du M23 son interlocuteur, et rend la tâche difficile à la Monusco, en rapport avec le déploiement de la force spéciale et de l'exécution de sa mission. «Qui trop embrasse, mal étreint », renseigne un adage.
Au départ de ces pourparlers - lancés en décembre 2012 - Kinshasa soutenait que ce dialogue se limiterait à «écouter le M23 ». Lambert Mende, porte-parole du gouvernement, l'a martelé régulièrement au point que tout Congolais l'a ancré dans sa tête. Si tel était le cas, un procès-verbal aurait suffi pour sanctionner les séances d' «audition ».

La médiation ougandaise, soutenue par la CIRGL, ne jure que par la signature à l'issue de ce dialogue d'un accord de paix qui viendrait se superposer sur celui querellé du 23 mars 2009. Une superposition qui risque de constituer la base de nouvelles revendications du M23, si le gouvernement l'agrée tête baissée, sans en mesurer les conséquences.

Est-ce que les termes de référence des pourparlers de Kampala prévoyaient, à l'issue des travaux, la signature d'un accord ? Kinshasa n'a rien dit à ce sujet. Ce silence n'indique-t-il pas qu'il se laisse mener en bateau ?

Kampala, la planche de salut du M23

Pour le M23, le dialogue de Kampala est une question de vie ou de mort. Posture compréhensible dans la mesure où le M23 bénéficie encore des oreilles qui suivent les élucubrations d'un mouvement rebelle dans le couloir de la mort. Dans ses prétentions, le M23 exige, sans sourciller, la gestion des territoires sous son contrôle pendant 5 ans ! Demande inacceptable d'autant plus qu'une telle portion du territoire national ne peut continuer d'échapper au contrôle du pouvoir central pendant autant de jours.

Pour vendre cette revendication, le M23 se propose de faire le travail de la brigade spéciale d'intervention. Ce mouvement s'estime outillé pour le travail de traque des forces négatives. Pareille décision fait rire mais démontre combien le M23 et ses parrains tiennent à aller à l'encontre de l'exécution de la résolution 2098. Dans ces circonstances, signer un accord avec le M23 à Kampala équivaudrait à faire de lui un partenaire dans la recherche de la paix dans l'Est de la RDC et dans les Grands Lacs. Le gouvernement serait-il disposé à offrir une sortie aussi honorable à un mouvement qui a déstabilisé le pays et ses institutions ?
Intransigeance à l'ONU

Le M23 est dans l'œil du cyclone. Aux Nations unies, l'on prend acte des menaces du M23 mais l'on ne se laisse pas impressionner outre mesure. A Monusco, le durcissement des langages s'intensifie.
Le porte-parole de la Monusco, Manodje Monoubai, a jugé «malvenues »les mises en garde répétitives du M23. «Je trouve quand même un peu bizarre le message contenu dans cette lettre (Ndlr : dernière lettre du M23 au gouvernement sud-africain), parce que nous savons que le M23 est à l'origine de la crise. Ils sont les premiers responsables de l'insécurité et de l'augmentation du nombre de déplacés dans les zones qu'ils occupent », a-t-il déclaré. Selon lui, la Monusco se dit prête à l'intervention.

La Monusco se montre d'ailleurs menaçante. «Nous avons une cartographie précise de la localisation des groupes armés. Cette cartographie est un outil précieux qui nous permettra justement, une fois que cette brigade sera là, de mener les actions nécessaires pour neutraliser les groupes armés », a dit, pour sa part, le colonel Basse, porte-parole militaire de la Monusco.

Sans pour autant se détourner de l'option militaire prévue avec le déploiement de la brigade d'intervention, les Nations unies gardent toutefois un œil sur Kampala, dans l'espoir d'une éventuelle solution politique. C'est d'ailleurs l'option que continue de soutenir Kigali qui ne cache plus son animosité vis-à-vis de la brigade d'intervention décidée par le Conseil de sécurité dont il est membre.

Lundi dernier, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mishikiwabo, est une fois de plus revenue à la charge, estimant qu'il était important de privilégier le volet politique pour résoudre les problèmes de l'Est de la RDC. «Nous ne pensons pas qu'une action militaire soit la solution aux problèmes dans l'Est de la RDC, donc nous considérons cette brigade comme pouvant être un moyen de dissuasion, une présence nécessaire mais elle doit être complétée par d'autres aspects, et en premier lieu sur le volet politique du conflit », a-t-elle déclaré à la presse, après avoir dirigé une réunion du conseil de sécurité sur la prévention des conflits en Afrique. Le Rwanda assume depuis le 1er avril la présidence tournante du Conseil de sécurité des Nations unies.
Ce qu'il faut craindre

Aussi fort que puisse être le M23, il serait inconcevable qu'il mette en déroute les FARDC et la brigade spéciale. Mais, il faut craindre que le Rwanda et l'Ouganda, ses principaux soutiens, n'entrent dans la danse. Ce qui pourrait compliquer la donne aussi bien pour l'ONU que pour la RDC. La question qui reste pendante est celle de savoir si le Rwanda irait jusqu'au bout de sa logique en apportant son soutien au M23 pour lutter contre la brigade onusienne ? wait and see.

En son temps, la Chine s'est interposée (pourtant membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies) face aux troupes des Nations unies pendant la guerre de Corée des années 1950. Un analyste du site agoravox.fr présente un scenario qu'il faudrait craindre pour le cas de la RDC.

Il s'exprime en ces termes : «La déroute qui s'en est suivie (Ndlr : après l'intervention des troupes chinoises) obligea les forces sous mandat de l'ONU à rester«cantonnées »à hauteur du 38ème parallèle, devenu, depuis, la frontière des deux Corées, ce qui consacra la partition du pays ». Et de poursuivre : «Un scénario comparable au Congo n'est pas à exclure. Si le M23, renforcé par les troupes rwandaises, parvient à mettre en déroute la brigade de l'ONU, la balkanisation du Congo deviendrait un fait. En effet, le Congo de Joseph Kabila n'a pas la capacité militaire de reprendre les territoires passés sous contrôle de combattants rwandais, encore moins si ces territoires sont arrachés aux mains des forces de l'ONU ».

La communauté internationale qui n'a pas encore digéré l'humiliation de la prise de Goma se laissera-t-elle faire ? Surtout lorsque l'opinion publique invoque cette séquence où l'on voit les Casques bleus accompagner les soldats du M23 dans leur progression dans la ville de Goma au lieu de les stopper en les combattant.

Le M23 qui joue sa dernière partition met la barre très haut afin d'obtenir un maximum de garantie pour sa survie.

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