Human Rights Watch

Dans une lettre ouverte au président Kabila

Human Rights Watch (HRW), ONG américaine de défense des droits de l'Homme, estime que la RDC ne devait conclure aucun accord avec des groupes rebelles ayant commis des exactions dans l'Est. Selon elle, les responsables des atrocités commises à l'Est de la RDC «devraient être, non pas récompensés, mais arrêtés et traduits en justice ». HRW est convaincue qu'un accord entre Kinshasa et le M23 n'avancera pas le processus de paix dans l'Est du pays. Elle partage cette conviction dans une lettre ouverte adressée, le 7 mai 2013, au chef de l'Etat, Joseph Kabila Kabange. Son appel sera-t-il entendu ?...

Alors que les pourparlers engagés à Kampala entre Kinshasa et le M23 tirent en longueur, l'ONG américaine de défense de défense des droits de l'Homme, Human Rights Watch (HRW), pour donner de la voix. En réalité, il s'agit d'un conseil et, à la limite, une interpellation des autorités congolaises. Objectif : éviter l'installation d'un cycle d'impunité dans l'Est du pays. C'est la substance de la lettre ouverte que HRW a adressée le mardi 7 mai 2013 au président de la République, Joseph Kabila Kabange.

Dans cette correspondance, HRW rend compte au chef de l'Etat de ses «préoccupations et recommandations en ce qui concerne la situation en matière de droits humains dans l'Est de la République démocratique du Congo ». Elle souligne en même temps «combien il importe de mettre fin à l'impunité pour les auteurs de graves violations de ces droits ». Se disant consciente du fait que «les violences et les exactions continuent »dans l'Est de la RDC, l'ONG américaine espère que «le gouvernement congolais avec un soutien international pourra faire de réels progrès au cours de prochains mois sur la voie d'un meilleur respect des droits humains et d'une justice plus aboutie ».

Pour mettre fin à l'impunité, HRW estime que «le gouvernement devrait adopter une attitude cohérente et équitable envers tous les groupes armés responsables de graves exactions, et s'abstenir de promouvoir une justice à sens unique ou un système à deux poids, deux mesures ». Aussi relève-t-elle, s'inspirant de tous les accords antérieurs de paix signés pour ramener la paix dans l'Est de la RDC, qu'un accord avec le M23 ne ferait qu'entretenir ce cycle de violence et passerait comme une prime de guerre à tous les responsables de graves exactions et crimes de guerre commis dans l'Est de la RDC. HRW rappelle à ce propos que «Un certain nombre de milices, ainsi que des membres de l'armée nationale congolaise, ont également commis des attaques atroces contre les populations civiles au cours des douze derniers mois.

Parmi ces milices figurent le groupe armé Raïa Mutomboki, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), les Nyatura, les Maï-Maï Sheka, l'Alliance patriotique pour un Congo libre et souverain (APCLS), les Maï-Maï Yakutumba, le Front de la résistance patriotique de l'Ituri (FRPI) et les combattants Maï-Maï au Katanga. Des centaines de civils ont été tués et des dizaines de villages rasés par ces groupes au cours des douze derniers mois ».

Pour mettre un terme à ce cycle de violences, HRW est convaincu que «les responsables de ces actes devraient être, non pas récompensés, mais arrêtés et traduits en justice ». Et au nombre de ces derniers figurent les responsables du M23, fiché comme force négative par la communauté internationale, particulièrement la Monusco dont les différents rapports à ce sujet sont assez éloquents.

Retombées de l'accord d'Addis-Abeba

HRW salue l'accord-cadre de paix signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba et la nomination de Mary Robinson comme envoyée spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la région des Grands Lacs, ainsi que le déploiement prochain de la Brigade d'intervention - une force sous conduite africaine créée au sein de la Monusco. Elle souligne que ce «sont autant de bonnes occasions à saisir pour faire avancer les choses »pas seulement dans l'Est de la RDC mais aussi dans l'ensemble de la région des Grands Lacs.

Par conséquent, HRW appelle «les acteurs internationaux à exercer des pressions soutenues pour assurer la cessation immédiate de tout appui militaire de la part du Rwanda ou de l'Ouganda au M23 ou à d'autres groupes armés actifs en RD Congo et commettant des exactions ». Les personnes responsables d'un tel soutien - du reste nommément indexés dans le rapport du groupe d'experts des Nations unies sur le RDC - devraient, de l'avis de HRW, «être amenées à rendre des comptes et soumises à des sanctions ».

Mais, tout dépendra de la volonté de la communauté internationale à franchir le Rubicon, commente-t-on dans les milieux spécialisés.

HRW ne minimise pas pour autant l'implication du gouvernement de la RDC dans la réussite de l'action internationale qui se déploie dans l'Est de la RDC. «Le succès des engagements régionaux et internationaux inscrits dans l'accord-cadre, prédit-elle, ne pourra être assuré sans la pleine implication du gouvernement congolais et sans un véritable engagement et une action concrète de sa part en faveur de la mise en œuvre de réformes essentielles à l'échelle nationale ».

Toutefois, elle considère comme «encourageantes »les déclarations faites au cours des douze derniers mois par le président Joseph Kabila, dans lesquelles le chef de l'Etat «affirme clairement que le gouvernement congolais n'accorderait aucune amnistie aux dirigeants du M23 qui sont sous le coup de sanctions de l'ONU ou de mandats d'arrêt pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, et qu'il refuserait de les réintégrer au sein de l'armée congolaise ».

Rompre avec le cycle d'intégration

Dans le même ordre d'idées, HRW prévient du danger d'un processus d'une paix qui consisterait uniquement, sans doute au terme des pourparlers de Kampala, à intégrer dans les institutions politiques et les services de défense ainsi que de la sécurité des éléments issus du M23. «Pendant trop longtemps, la politique consistant à intégrer des chefs de guerre, auteurs d'exactions dans les rangs de l'armée et à leur accorder des grades élevés et de l'influence, n'a fait que perpétuer le phénomène de l'impunité en RD Congo, ce qui revenait à récompenser le recours à la violence », relève-t-elle dans sa lettre au chef de l'Etat.

Dans la foulée, l'ONG américaine se félicite de la reddition de Bosco Ntaganda et son transfèrement à La Haye qui, note-t-elle, «ont constitué des étapes importantes dans la lutte contre l'impunité pour les crimes les plus graves commis dans l'Est de la RD Congo ». Elle félicite également le chef de l'Etat en lui rappelant que son «insistance, au cours des douze derniers mois, pour que Ntaganda soit traduit en justice a été un élément déterminant dans cette évolution ».

Neutraliser le M23 et protéger la population civile

Rassurée de la ligne désormais tracée par le gouvernement congolais qui consiste à ne plus attribuer une prime de guerre aux auteurs des crimes de guerre dans l'Est du Congo, HRW espère que «d'autres individus suspectés d'avoir commis de graves violations des droits humains - dont des dirigeants du M23 comme Baudouin Ngaruye et Innocent Zimurinda (qui sont actuellement au Rwanda), Sultani Makenga et Innocent Kayna - seront également arrêtés et traduits en justice. Toutes ces personnes figurent sur des listes de sanctions établies par les Nations unies et par les États-Unis ».

HRW s'oppose à tout accord, particulièrement avec le M23. «Pour que, souligne-t-elle, ces mesures aient un effet durable, le gouvernement congolais ne devrait conclure d'accord avec aucun chef de guerre ayant commis des exactions, quelle que soit son appartenance politique, ethnique ou autre ».

Elle évoque, à ce propos, de bonnes raisons pour la RDC d'appuyer le déploiement de la Brigade d'intervention des Nations unies dans sa partie Est. «Le déploiement de la Brigade d'intervention, note-t-elle, n'est pas sans risques, mais représente aussi une occasion unique d'arrêter les chefs rebelles qui sont responsables des pires atrocités. La brigade devrait concentrer ses efforts sur des opérations ciblées et bien préparées visant ces arrestations, et prendre toutes les précautions possibles afin de minimiser les dommages subis par la population civile, tels que ceux occasionnés par de précédentes opérations militaires d'envergure qui avaient entraîné des déplacements de population et des violations des droits humains à grande échelle ».

Néanmoins, HRW rappelle que «dans les régions que la Brigade d'intervention réussit à contrôler, il sera essentiel que le gouvernement congolais joue un rôle en amont et procède, en coordination avec la Monusco, à des préparatifs afin de pouvoir tenir et sécuriser ces zones et y rétablir des institutions et des services publics crédibles ». L'allusion n'est-elle pas faite à la restauration de l'autorité de l'Etat sur les territoires actuellement sous contrôle du M23 et que dernier ne veut pour rien au monde céder à Kinshasa ? La seule manière d'y arriver est de neutraliser ce mouvement armé que le Rwanda tend à protéger par des subterfuges de toutes sortes. La subtilité de Kigali est telle que de temps en temps Kinshasa se trouve pris de court.

Le déploiement de la «Brigade spéciale »devrait s'accompagner de la protection des civils. D'ores et déjà, HRW en fait «une priorité ». En même temps, elle plaide pour «une politique vis-à-vis des combattants des groupes armés qui accepteraient de déposer les armes devrait être mise au point et appliquée avant même le début des opérations militaires, et devrait permettre d'éviter les échecs de précédents programmes de désarmement ».

Comme on le voit, Kinshasa est interpellé et mis devant ses responsabilités dans le processus de mise en application autant de l'accord-cadre de paix d'Addis-Abeba que de la Résolution 2098.

Encadré

Les recommandations de Human Rights Watch

Dans le cadre du programme national de réforme du gouvernement, et pour assurer le suivi d'autres engagements contenus dans l'accord-cadre, HRW recommande au président Joseph Kabila de prendre les mesures suivantes :

- Relever de leurs fonctions, soumettre à des enquêtes et poursuivre en justice de manière appropriée les membres des forces de sécurité congolaises impliqués dans des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et d'autres violations graves des droits humains, quel que soit leur grade ;

- S'assurer que le gouvernement congolais s'abstienne de fournir un appui militaire aux milices ou aux groupes armés étrangers ou congolais qui sont responsables de violations généralisées ou systématiques. Les responsables civils et les militaires qui ont apporté leur soutien à de tels groupes devraient être relevés de leurs fonctions, faire l'objet d'enquêtes et être dûment poursuivis en justice ;

- Mettre en œuvre un mécanisme de «vetting », ou de contrôle des personnels de l'armée et de la police, afin d'en exclure les individus qui se sont livrés à de graves violations des droits humains ;

- Créer des chambres spécialisées mixtes ou une cour spécialisée mixte au sein du système judiciaire congolais, avec la participation de procureurs, de juges et d'autres personnels internationaux, pour ouvrir des procès, en conformité avec le droit international, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en RD Congo depuis 1990 ;

- Avec l'appui des Nations unies et des bailleurs de fonds, élaborer et mettre en œuvre d'urgence un nouveau programme et une stratégie de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) concernant les membres des groupes armés. Une telle stratégie devrait garantir que les responsables de graves violations des droits humains soient non seulement exclus de l'armée, mais aussi visés par des enquêtes et dûment poursuivis en justice; les enfants soient immédiatement séparés de ces groupes et confiés à des agences de protection de l'enfance; les anciens combattants qui sont intégrés dans l'armée ou la police suivent une formation appropriée afin de pouvoir se comporter en conformité avec le droit international et les normes internationales en matière de droits humains, avant d'être affectés dans des régions du pays autres que celles où ils ont opéré en tant que miliciens; et que soient offertes aux ex-combattants des alternatives réalistes à une carrière dans l'armée, telles que des possibilités d'emploi à long terme dans le civil ;

- Veiller à ce que les ex-combattants qui sont intégrés dans l'armée ou la police, ou qui retournent à la vie civile, ne fassent pas l'objet de discriminations ou ne soient pas soumis à des tortures ou à d'autres sévices en raison de leurs précédentes allégeances. Un système de contrôle pourrait être mis en place pour assurer que chacun bénéficie d'un traitement équitable au sein des forces de sécurité et pour encourager les personnels à dénoncer les cas de discrimination ou de mauvais traitements. Les responsables de tels actes devraient faire l'objet d'enquêtes et être sanctionnés ou poursuivis en justice de manière appropriée.

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