Soldats ONU


Le mandat de la Brigade d'intervention prête à confusion. Offensif ou préventif, l'opinion est dans les vapes. Les inquiétudes portent surtout sur ces contradictions apparues entre le secrétaire général de l'ONU et son envoyée spéciale dans les Grands Lacs. 19 ONG internationales ont écrit à Ban Ki-moon pour le prévenir du danger de voir la Brigade se gripper en phase opérationnelle dans l'Est de la RDC.

Qui d'entre Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, et Mary Robinson, son envoyée spéciale dans les Grands Lacs, a raison, quant au vrai mandat de la Brigade spéciale d'intervention décidée par la Résolution 2098 du Conseil de sécurité de l'ONU pour se déployer dans la partie orientale de la RDC ? L'opinion ne sait plus à quel saint se vouer pour être fixée.

Le 28 mars 2013, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte à l'unanimité le déploiement d'une brigade d'intervention dans la partie Est de la RDC. C'est ce qui ressort aux termes de la Résolution 2098. Celle-ci, quant à elle, est consécutive à l'accord-cadre d'Addis-Abeba signé en février dernier par 11 dirigeants africains, en marge d'un sommet de l'Union africaine. En clair, selon le Conseil de sécurité, la Brigade a pour mandat de «mener des opérations offensives ciblées »contre les groupes d'insurgés dans l'Est de la RDC.

De passage en RDC, les 22 et 23 mai 2013, Ban Ki-moon a confirmé que la Brigade opérera conformément à la Résolution 2098 qui la crée, c'est-à-dire une force ayant un mandant offensif pour neutraliser tous les groupes armés écumant dans l'Est de la RDC, dont le M23. D'ailleurs se sentant ciblé, ce groupe armé s'est agité et a proféré des menaces qu'il a dû mettre à exécution à la veille du voyage du secrétaire général de l'ONU en RDC. Cette attaque était en réalité un message aux premiers soldats tanzaniens et sud-africains déployés à Goma (Nord-Kivu).

Différence d'approche

Tout paraissait clair jusque-là. Voilà qu'à l'issue de la tournée de Ban Ki-moon dans les Grands Lacs, Mary Robinson, son envoyée spéciale dans la région, a vendu la mèche. Se prêtant aux questions de RFI, l'ancienne présidente irlandaise s'est démarquée totalement de son chef, en accordant un mandat préventif à la Brigade : «Il faut qu'elle (Ndlr : la brigade d'intervention) soit une force de prévention et que l'on fasse plutôt des progrès au niveau politique, vers la paix, et surtout le développement ». Et d'ajouter : «Je dis que la Brigade, certes, est importante, mais ce n'est pas la solution ».

Pour Mary Robinson, «il faut que les Congolais comprennent bien que le gouvernement doit avoir une armée et une police qui marchent bien, une autorité de l'Etat partout sur le territoire. C'est du long terme, je sais. Mais, maintenant, je crois qu'on peut vraiment bien commencer. On a le mécanisme de suivi ». A l'en croire, «la solution c'est plutôt l'accord-cadre pour la paix, la sécurité et le développement », selon l'entendement qu'en font l'Onu et la Banque mondiale en mettant à la disposition des Grands Lacs un fonds d'un milliard USD en soutien aux projets de développement.

En lisant entre les lignes, l'ONU s'est finalement défoulée, n'étant pas parvenue en interne, à concilier toutes les voies sur le contenu réel à donner à la brigade d'intervention à déployer dans l'Est de la RDC. L'on se rappellera les débats houleux qui ont précédé l'adoption le 28 mars 2013, le vote de la Résolution 2098, laquelle charrie cette Brigade. L'on comprend avec un peu de recul, des pays comme la Chine et la Russie s'étaient réservés peu avant l'adoption de la résolution, préférant avoir plus d'éclaircissements sur le contenu et particulièrement le mandat de la fameuse brigade.

Ainsi, il a fallu le franc-parler de Mary Robinson pour que des contradictions longtemps étouffées apparaissent au grand jour. Celle-ci est passée outre le langage diplomatique de son patron qui cachait le bluff de son organisation.

A noter que Mary Robinson n'est pas la seule à entrer en contradiction avec l'Onu et son secrétaire général. Il y a aussi l'adjoint de Ban Ki-moon en charge des opérations de maintien de paix, le Français Hervé Ladsous. Dans une réflexion qui a circulé sur la toile, ce dernier s'est montré plutôt explicite sur les dessous des cartes du maintien de la paix en RDC. Son exposé est fondé sur ce qu'il appelle deux vérités fondamentales auxquelles le maintien de la paix devra faire face en RDC, au Mali, éventuellement en Somalie ou en Syrie.

«Dans l'Est de la RDC où des groupes armés continuent de terroriser des millions de civils, nous déployons une brigade d'intervention et des véhicules aériens sans pilotes non armés qui nous permettront d'observer les mouvements des groupes armés et de mieux protéger les civils », déclare l'adjoint de Ban Ki-moon. Et il ajoute, en réaction à ceux qui sont inquiets de voir la mission de maintien de la paix de l'ONU se transformer en machine de guerre : «Le mandat voté par le Conseil de sécurité est sans équivoque : l'usage de la force par nos Casques bleus en RDC est l'exception et non la règle pour le maintien de la paix ».

Par ailleurs, Hervé Ladsous note que «le maintien de la paix ne peut pas se substituer à un accord politique ; ses interventions doivent se fonder sur un cadre politique clair ».

Que faut-il, dès lors attendre de la brigade ? Est-ce que les Congolais doivent continuer à espérer ou déchanter ? Réponse : ils doivent plutôt s'assumer.

Mauvaise augure

Pressentant le danger, 19 ONG internationales œuvrant en RDC viennent d'ailleurs de tirer la sonnette d'alarme en appelant le secrétaire général des Nations unies à la vigilance. Dans une lettre ouverte adressée le 23 mai à Ban Ki-moon, elles lui demandent de veiller à l'efficacité de la brigade d'intervention de la Monusco chargée de neutraliser les groupes armés qui insécurisent l'Est du pays.

Elles proposent qu'en cas de dysfonctionnement, le secrétaire général des Nations unies puisse suspendre le déploiement de la Brigade. Allusion est faite à l'annonce faite mercredi par le patron des opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous : «Nous espérons que la Brigade d'intervention pourra être opérationnelle dans quelques semaines, probablement d'ici la mi-juillet ». Ce qui va dans le même sens que «un ou deux mois »estimé par Ban Ki-moon au cours de sa dernière tournée dans la région, soulignant la nécessité «d'accélérer le déploiement »en raison de la poursuite des combats autour de Goma.

Filet

Efficacité de la Brigade d'intervention : 19 ONG internationales écrivent à Ban Ki-moon
Dix-neuf ONG internationales œuvrant RDC se disent préoccupées par la persistance des violences dans l'Est de ce pays. Dans une lettre ouverte adressée le 23 mai 2013 au secrétaire général des Nations unies lors de son séjour en RDC, elles demandent à Ban Ki-moon de veiller à l'efficacité de la Brigade d'intervention de la Monusco chargée de neutraliser les groupes armés qui insécurisent l'Est du pays.

En cas de dysfonctionnement de cette force, indiquent ces ONG, le secrétaire général des Nations unies devrait la suspendre.

«C'est tout simplement une façon d'attirer l'attention de Ban Ki-moon au fait que la brigade doit être jugée sur base de ses réalisations et de son efficacité », a expliqué Maria Lange, directrice nationale de l'ONG International Alert, l'une des signataires de la lettre.

Pour ces organisations, Ban Ki-moon devrait également envisager la suspension de la Brigade d'intervention si le gouvernement congolais ne faisait pas de «progrès suffisants »dans la mise en œuvre de l'accord-cadre de paix sur la RDC signé le 24 février dernier à Addis-Abeba.

Maria Lange a indiqué cependant que l'espoir de ces ONG «aussi bien que celui de tous les Congolais est que cette brigade peut contribuer à trouver une solution à l'insécurité ».

Les dix-neuf ONG estiment qu'un processus de désarmement, démobilisation et réinsertion des combattants des groupes armés doit être enclenché une fois que la brigade sera opérationnelle. A en croire le secrétaire général adjoint de l'Onu chargé des opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, cette force qui sera composée de 3 069 soldats devrait être opérationnelle mi-juillet.

Dans leur lettre ouverte, ces organisations ont appelé les pays signataires de l'accord-cadre d'Addis-Abeba à respecter leurs engagements et à mettre en place «des mécanismes solides de responsabilisation et à s'attaquer aux causes profondes des cycles récurrents de violence dans l'Est de la RDC ».

L'accord d'Addis-Abeba a été signé par onze pays africains sous l'égide des Nations unies. Il est censé restaurer la paix dans l'Est de la RDC. Ses signataires se sont notamment engagés à ne pas soutenir les groupes armés qui insécurisent cette partie du continent.

-- © Le Potentiel