Mgr François-Xavier Maroy

Mgr François-Xavier Maroy

L'Église catholique est un des piliers de la société en République démocratique du Congo. Confrontés à la faiblesse ou à la défaillance des structures étatiques, de très nombreux laïcs et membres du clergé prennent des responsabilités dans des programmes humanitaires, sociaux et économiques, et sont amenés à s'exprimer sur des sujets qui débordent l'action pastorale.

Mgr François-Xavier Maroy ne déroge pas à la règle. La ville dont il est l'archevêque, Bukavu, est la capitale du Sud-Kivu, à l'Est du pays. Frontalière avec le Rwanda, elle subit depuis 1996 une guerre destructrice, tantôt ouverte, tantôt larvée.

Un des prédécesseurs de l'évêque, Mgr Christophe Munzihiwa, a été assassiné en pleine rue le 29 octobre 1996 durant la prise de la ville par les troupes de feu Laurent-Désiré Kabila, père de l'actuel président congolais Joseph Kabila. Un autre, Mgr Emmanule Kataliko, est décédé brutalement d'une crise cardiaque le 4 octobre 2000 après avoir été rélégué dans sa ville natale par des rebelles pendant sept mois.

Mgr François-Xavier Maroy, archevêque de Bukavu depuis 2006, était de passage à Paris lors de la campagne du carême 2013 du CCFD-Terre solidaire. Lors d'une réunion organisé salle Jussieu, dans le 5° arrondissement, il a longuement expliqué comment l'exploitation sauvage des ressources de la République démocratique du Congo était à l'origine des violences. Des propos qui gardent leur acuité alors que de violents combats ont encore opposé l'armée et la rébellion du M23 à la mi-juillet dans la province voisine du Nord-Kivu.

«La propriété de la terre est souvent une question problématique »

«Le Congo est un pays riche, du nord au sud, de l'est à l'ouest. Tout peut y pousser«, a commencé Mgr Maroy devant une cinquantaine de personnes réunis par le CCFD-Terre solidaire. «Mais la propriété de la terre est souvent une question problématique. Au Kivu, les terrains cultivés par les ancêtres ont été découpés en tout petits lopins. Et l'insécurité a poussé les gens à fuir les campagnes pour se réfugier dans les agglomérations«.

«Un milicien Maï-Maï, c'est parfois un paisible citoyen qui cultivait son jardin »

«On dit que la terre et le sous-sol appartiennent à l'État«, poursuit l'évêque. «Mais l'État est fragilisé par tous ces conflits. Dans beaucoup d'endroits, ce sont des rebelles ou des milices qui font la loi et l'État n'y peut rien. Il y a des milices soutenues de l'extérieur et d'autres qui se constituent à l'intérieur, officiellement pour protéger un territoire face à des agresseurs. Un milicien Maï-Maï, c'est parfois un paisible citoyen qui cultivait son champ et un jour, on lui dit : 'ce champ n'est pas à toi'. Il répond : 'je l'ai hérité de mon père. Qui es-tu pour me le contester? Tu ne le prendras que si tu me prends la vie'. Il dépose la houe et prend la machette«.

«Les contrats sont souvent signés à Kinshasa »

«L'Église s'est rendue compte que les contrats miniers et forestiers étaient le plus souvent attribués au hasard«, ajoute Mgr Maroy, qui a été reçu par deux conseillers de François Hollande à l'Élysée durant son séjour à Paris. «Les décisions se prennent à Kinshasa et les attributions se font souvent au profit de personnes qui n'ont aucun lien avec la région concernée«.

«On dévie une rivière, on creuse à la barre à mine »

«Au Kivu, on exploite surtout l'or, la cassitérite et le coltan et on évoque de plus en plus la présence de pétrole et de gaz sous le lac Kivu«, raconte l'archevêque. «L'or est extrait de façon artisanale. On dévie une rivière, on creuse à la barre à mine. Il n'y a aucun contrat, aucun contrôle de l'État. Le coltan a fait une apparition fulgurante. Ce sont surtout des miliciens qui en contrôlent l'exploitation. Mais il y a aussi une responsabilité de vous, les Occidentaux. Nous, c'est notre terre. Vous, par le biais de vos investisseurs, de vos industriels, vous nous dites : ' il est possible de l'exploiter'. Et quelques jours après, les armes se tournent vers nous. Ça ne va pas«.

«Là où une exploitation minière commence, les violences sont plus nombreuses »

«Là où une exploitation minière commence, c'est là que les milices sont les plus actives, et donc que les viols et les violences sont les plus nombreux«, insiste le prélat, natif de Bukavu. «Qui les arme ? On ne sait pas. Dans les carrés miniers où ils opèrent, en forêt, ils font le ménage dans les villages voisins, ils kidnappent des femmes et des filles pour en faire des esclaves sexuelles. On voit passer des hélicoptères qui arrivent d'on ne sait où et qui se posent là où personne ne va«.

«Par quelle voie le minerai arrive-t-il dans les usines occidentales? »

«Les petits exploitants produisent et vendent clandestinement et reçoivent des armes en échange«, poursuit Mgr Maroy. «Qui leur achètent les minerais? Par quelle voie arrivent-ils dans les usines occidentales? Les pays voisins jouent un rôle de transitaire. Les hommes d'affaires agissent-ils à l'insu des États »?

«Justice et Paix a créé une commission épiscopale pour les ressources naturelles »

«Face à cette situation, la commission Justice et paix de la conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) s'est saisie du problème des ressources naturelles », souligne-t-il. «Elle a créé en son sein unecommission épiscopale pour les ressources naturelles (Cern) en espérant que celle-ci devienne une commission autonome, qui aurait des représentants dans tous les diocèses où l'on exploite les minerais et les forêts. Un agent s'est spécialisé pour connaître le droit minier, le droit forestier et le droit de propriété de la terre. Un observatoire a été créé avec des relais à Boma, Goma, Bukavu... Il récolte des informations et les transmet à la commission qui peut alors dialoguer avec les autorités«.

«Que l'État soit en mesure d'exercer son autorité »

«La commission travaille sur l'élaboration de projets de loi tout en sachant bien qu'une loi ne peut être appliquée que là où il y a la paix, la sécurité, »explique Mgr Maroy. «Il faudrait créer un comptoir d'achat de l'État, que l'État ait tous les pouvoirs et aussi qu'il soit en mesure d'exercer son autorité. Tant que l'État ne chassera pas les rebelles et les milices, qu'elles soient internes ou externes, le droit ne sera pas respecté. La première chose à faire est de pacifier le milieu«.

«Un travail d'éducation civique »

«L'Église est la seule organisation politiquement neutre qui peut aider tout le monde à obtenir un meilleur avenir«, affirme l'archevêque de Bukavu. «Elle mène un travail d'éducation civique, d'éducation à la citoyenneté, à la démocratie, au civisme fiscal. Elle veut aider la population à connaître ses droits et devoirs«.

«Sans le soutien des Églises du nord, l'Église du Congo aurait été anéantie »

«Que faire depuis la France«? interroge Mgr Maroy en réponse à une question. «Il faut dire, d'abord, que n'eut été le soutien des Églises sœurs du Nord, l'Église du Congo aurait été anéantie. Ensuite, il faut nous soutenir dans notre travail de plaidoyer auprès des gouvernements occidentaux. Il faut aussi nous aider à créer des emplois qui occupent les gens, qui les empêchent d'aller dans les mines où ils sont réduits en esclavage«.

«La France et la Belgique devrait œuvrer ensemble »

«La France et la Belgique devraient œuvrer ensemble pour la paix dans notre pays«, conclut l'archevêque de Bukavu. «La Belgique est la mère des trois pays voisins : le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo. Une bonne mère peut réconcilier ses trois enfants. Et la France, ne peut-elle faire quelque chose pour le second pays francophone du monde ? Dans cette région des Grands lacs, nos pays resteront éternellement voisins. Jusqu'à quand nous ferons nous la guerre«?

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