Un haut fonctionnaire du ministère ougandais des Affaires étrangères a jeté le pavé dans la mare, en révélant que le conflit qui sévit dans les Grands Lacs est «un problème complexe qui remonte à l'époque coloniale ». Interprétation : l'Ouganda et le Rwanda, de même que leurs parrains anglo-saxons, ne désarment pas en ce qui concerne la révision du tracé des frontières héritées de la colonisation. Les pourparlers entre Kinshasa et le M23 à Kampala ne sont qu'un tralala destiné à cacher l'iceberg, à savoir, la balkanisation de la RDC. Agenda caché sur lequel se greffe, curieusement, la communauté internationale.

Le sommet extraordinaire de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) s'est finalement ouvert hier jeudi à Kampala, capitale de l'Ouganda. Convoquée par le président ougandais et président en exercice de la CIRGL, avec l'accompagnement de la communauté internationale qui a délégué à Kampala ses principaux représentants dans la région des Grands Lacs, la rencontre s'est focalisée sur la relance des pourparlers de Kampala, mis en veilleuse depuis mai 2013.

Aux termes de la résolution qui a sanctionné le sommet, il a été «ordonné au M23 d'arrêter toutes les activités militaires, les activités de guerre et les menaces de renverser le Gouvernement légitime de la RDC »afin d'activer la piste dite politique. Celle-ci consiste à reprendre les pourparlers entre le gouvernement et le M23 ce week-end et les terminer dans un délai de 14 jours.

Au-delà de ces formules protocolaires auxquelles l'opinion a appris à se faire, la réunion de Kampala a plutôt ramené à la surface le fond de la crise dans la région des Grands Lacs. Le pavé a été jeté dans la mare par le secrétaire permanent du ministère ougandais des Affaires étrangères.

En marge du sommet, James Mugume a déclaré mercredi à l'Agence Chine nouvelle, s'adressant aux deux parties en crise dans l'Est de la RDC, à savoir Kinshasa et le M23 : «Vous devez arrêter le combat puis tenir des pourparlers de paix ». Cela avant de révéler : «Vous ne devez jamais vous lasser de réunions puisque vous êtes en train de régler un problème complexe qui remonte à l'époque coloniale. C'est un grand pays (...) Il y a beaucoup de problèmes, donc vous devez être patients ».

Qu'est-ce à dire ? L'officiel ougandais a dit tout haut ce que les autres disaient tout bas, à savoir la remise en cause des frontières telles que tracées à la Conférence de Berlin en 1885.

LES MASQUES SONT FINALEMENT TOMBES

Les déclarations de James Mugume, telles que rapportées par Chine Nouvelle, traduisent une triste réalité qui justifie toutes les tensions récurrentes dans la région des Grands Lacs. Ces déclarations ne peuvent pas être prises à la légère, au contraire, elles reflètent, noir sur blanc, la perception de la crise dans les Grands Lacs par les dirigeants ougandais et rwandais. Bien plus, elles mettent à nu la persistance du projet de balkanisation de la RDC.

Pas étonnant qu'au temps fort de la reprise des hostilités autour de Goma, l'armée ougandaise ait déployé ses militaires dans les environs de Mahagi, poussant son outrecuidance jusqu'à réclamer la révision des frontières dans la province Orientale.

Ainsi, contrairement à l'analyse de la communauté internationale qui pense que la crise dans la région pourrait se régler par la voie politico-diplomatique, il n'en est rien. Au Rwanda tout comme en Ouganda, les enjeux consistent à déposséder la RDC d'un morceau de son territoire, particulièrement les régions de l'Est, où ils ont commencé la transplantation des populations au grand dam des autochtones chassés de leurs terres et vouées à l'errance perpétuelle.

Voilà le fond du problème. Toute autre justification qui s'en écarte relève d'une pure distraction. C'est le cas du sommet extraordinaire de la CIRGL, ouvert hier jeudi à Kampala.

Primo, les chefs d'Etat de la CIRGL se sont réunis en urgence pour stopper l'avancée des FARDC sur les positions de leur épouvantail de M23. Ce cessez-le-feu ne serait, selon des observateurs avisés, qu'une trêve devant permettre de réarmer le M23 par rapport à la puissance de feu de la coalition FARDC-Brigade d'intervention de la Monusco.

Secundo, ils ont éludé la question du désarmement du M23 conformément à l'Accord –cadre d'Addis-Abeba qui recommande la disparition de tous les groupes armés répertoriés comme forces négatives. Ces plénipotentiaires n'ont pas daigné condamner le Rwanda pour violé les prescrits de l'Accord cadre d'Addis-Abeba concernant l'appui qu'il a accordé de manière ostentatoire au M23 au cours de derniers affrontements au tour de la ville de Goma.

Tertio, les chefs d'Etat de la CIRGL n'ont montré aucun empressement à prendre une résolution favorisant la restauration de l'autorité de l'Etat sur les territoires sous contrôle du M23. Comme si, en coulisse, ils laisseraient cette brèche de manière à permettre le M23 d'avoir un certain avantage sur le Gouvernement lors des pourparlers.

Quarto, même les représentants de la Communauté internationale présents à Kampala ont fermé sur tous ces aspects qui réduisent les chances d'une véritable sortie de crise. Or, tous savent, en leur for intérieur, les velléités du Rwanda et de l'Ouganda à annexer une partie du territoire de la RDC à leurs pays respectifs. Et que toutes les informations confirment que toutes les rébellions qui se sont succédé dans l'Est de la RDC ont été créées à cette fin, sans jamais y parvenir.

La rébellion menée par le M23 tient à ce schéma. Dans une démarche trop simpliste pour tenir la route, ce groupe armé a prétendu endosser l'accord du 23 mars 2009 signé à Goma et en réclamer l'application au nom du CNDP à la tête du quel régnaient des seigneurs de guerre aujourd'hui en exil au Rwanda. Ironie du sort, Kigali vient de reconnaître, la mort dans l'âme, qu'il héberge des officiers M23 qui avaient fui sur son territoire à la suite de la scission du mouvement rebelle créée de toutes pièces.

En outre, renseignements pris, des membres du CNDP font partie de la délégation gouvernementale aux négociations à Kampala. De qui se moque-t-on ? L'opinion congolaise n'est plus dupe. Elle a compris beaucoup de choses au point qu'elle est désormais assez éveillée pour qu'on lui fasse prendre des vessies pour des lanternes.

Par ailleurs, les déclarations de James Mugume, apportent l'éclairage sur le nerf du conflit permanent dans la région des Grands Lacs. Il ne s'en cache d'ailleurs pas quand il indique et déplore que la RDC est un grand pays où il existe confronté à beaucoup de problèmes. Ne voudrait-il faire des anticipations selon lesquelles que la RDC, de ce fait, finira par baisser la tête et accepter le fait accompli.

Le sommet de Kampala risque de rééditer ce que Kigali avait obtenu en 2009 en créant un autre mouvement rebelle pour compenser les limites du M23. D'autant que les FDLR, à l'instar, sont des ombres dont on ne connaît les gîtes et les mouvements dans les étendues de l'Est de la RDC.

Pour ceux qui auraient la mémoire courte, l'accord du 23 mars 2009 reconnaissait aux populations rwandophones du Kivu le droit exclusif de jouissance sur une partie de la province du Nord-Kivu, dans l'attente, bien sûr, de l'annexion au Rwanda.

TELESCOPAGE ENTRE CONCERTATIONS NATIONALES ET POURPARLERS DE KAMPALA

La fameuse communauté internationale a beau se défendre, elle n'arrivera pas à convaincre l'opinion. A l'étape de Kinshasa, l'envoyée du secrétaire général de l'Onu, a reconnu que les Concertations nationales étaient une bonne chose. Mary Robinson a été mise au courant de la date d'ouverture de ce forum national, à savoir le 7 septembre 2013. Voilà qu'à Kampala, elle laisse passer la recommandation qui oblige la reprise des pourparlers entre le gouvernement et le M23 à la même date et dans un même timing.
Tous ces éléments épars mis ensemble confirment l'actualisation renouvelée du projet de balkanisation de la RDC lequel est sous-tendu par tous les conflits qui écument dans la partie Est de la RDC. Le Rwanda et l'Ouganda l'ont déjà déclaré à plusieurs occasions-conférences et autres rencontres internationales - se sentent moins servis par le partage de l'Afrique effectué en 1885 à la conférence de Berlin.

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