Le septième sommet des pays des Grands Lacs qui s'ouvrait jeudi 05 septembre à Kampala, en Ouganda, est entouré de mystères. Officiellement, les chefs d'Etat se réunissent pour régler la crise qui a dégénéré fin août en affrontements armés dans l'Est du Congo. Mais en y regardant de plus près, et en revenant sur les événements de la semaine écoulée, à Goma, on finit par se demander ce que font ces chefs d'Etat à Kampala, et surtout eux. Car si déjà le lieu où se tient la conférence pose problème, la personnalité des participants en pose davantage. Pour mieux comprendre les mystères de ce sommet, il convient tout d'abord de rappeler le film des événements autour de Goma.

Le jeudi 22 août, l'Est du Congo est l'objet d'une série d'attaques fulgurantes. L'ONU signale l'arrivée de plusieurs bataillons de l'armée rwandaise qui se lancent à l'assaut des positions tenues par les soldats congolais.Plusieurs obus, tirés du Rwanda, toujours selon l'ONU, tombent en pleine ville de Goma, détruisent des habitations et causent la mort de plusieurs civils congolais et un casque bleu tanzanien. Pendant ce temps, l'Ouganda effectue une incursion plus au Nord du pays et occupe la localité congolaise de Mahagi chassant plusieurs centaines de familles congolaises. Les soldats congolais, heureusement, résistent assez bien et parviennent, au bout d'intenses combats, à repousser l'agression rwandaise, avec l'aide du contingent des casques bleus tanzaniens et de tireurs d'élites sud-africains.

DES QUESTIONS SANS REPONSE

Nous sommes donc en présence d'au moins deux crimes graves commis par deux Etats membres de l'ONU, le Rwanda et l'Ouganda. Des crimes qui relèvent du droit international et sont réprimés par les juridictions internationales (Cour internationale de justice et Cour pénale internationale). Le crime d'agression (violation de la Charte de l'ONU), et les crimes de guerre et crimes contre l'humanité (bombardement des populations civiles).

Telle étant la situation, on n'imagine pas qu'un sommet comme celui de Kampala puisse se tenir. On se demande d'ailleurs comment le Congo, un pays qui vient de subir deux agressions armées, et dont la population n'a pas fini de pleurer ses victimes, a pu se retrouver dans une conférence internationale comme celle-là.

On relève d'ailleurs, avec étonnement, que le président Kabila est arrivé à Kampala sans faire escale à Goma où «son peuple », a été meurtri par des bombardements. Les familles des victimes et les blessés dans les hôpitaux (civils et militaires), apprécieraient, logiquement, un réconfort du chef de l'Etat. Etrangement, le gouvernement congolais n'a même pas décrété un deuil national. Même pas de cérémonie de deuil pour les soldats tués en repoussant les agresseurs. En tout cas, la Tanzanie, elle, a rendu un hommage appuyé à son soldat de la paix tué dans les combats contre le M23.

Ce qui soulève une question par rapport à la délégation congolaise à Kampala : le Congo et le peuple congolais sont-ils valablement représentés à ce sommet ? Par des autorités qui n'ont même pas essayé de réconforter leurs populations en deuil ?... Mystère.

Et pourquoi le président congolais se retrouve-t-il en Ouganda, un Etat qui vient de participer à une agression armée contre son pays ?

Bref, tout porte à croire qu'à Kampala, les délégués sont partis pour discuter de tout sauf de «bien »du Congo et de ses populations. Le sommet prend alors les allures d'un «complot».

LES SECRETS DE POLICHINELLE

En réalité, les guerres à répétition qui déchirent le Congo dissimulent plusieurs secrets de polichinelle qu'il devient de plus en plus grotesque de ne pas évoquer ouvertement.

Parmi ces secrets de polichinelle, il y a, pour l'essentiel, les enjeux économiques. On ne fait pas la guerre au Congo par idéologie. Il n'y a ni communisme, ni maccartisme, ni islamisme dans les guerres du Congo. On fait la guerre à la patrie de Lumumba pour mettre la main sur ses gisements miniers. Pour ceux qui suivent l'actualité américaine, il faut rappeler que le 12 juillet 2010, le Congrès américain a adopté une loi, passée presque inaperçue, portant sur les gisements miniers de l'Est du Congo. La loi dite «Dodd-Frank ».

Aux termes de son article 1502, cette loi oblige les entreprises cotées en bourse à rendre publiques les informations concernant leur chaine d'approvisionnement de quatre minerais, dont les gisements se trouvent dans l'Est du Congo. Le tantale/coltan, l'étain, l'or et le tungstène.

Le hasard de la géologie a voulu que d'immenses gisements de ces minerais se retrouvent dans l'Est du Congo et que le Rwanda et l'Ouganda en soient nettement dépourvus. D'où, les guerres à répétition contre le Congo depuis 1996. L'occupation du Kivu facilite le pillage et le transit de ces minerais par le Rwanda et l'Ouganda.

Ces guerres sont toutefois maquillées par des mensonges bien enrobés qu'on habitue tout le monde à répéter : «rébellion congolaise »au lieu d'«agression »rwando-ougandaise contre le Congo. «Tutsi congolais »au lieu de «soldats rwandais »; «lutte contre les génocidaires »au lieu de «massacre des populations »congolaises et des réfugiés hutus,... Des mensonges qui passent malgré de nombreux rapports d'ONG et des experts de l'ONU. Parfois, les Congolais observent les gens qui relayent ces mensonges et se disent qu'ils le font exprès.

Les propagandistes de l'Allemagne nazie avaient théorisé l'idée selon laquelle «un mensonge répété dix fois reste un mensonge. Répété mille fois, il devient une vérité ». Et Goebbels d'ajouter : «Plus le mensonge est gros, mieux ça passe ». On est en plein dedans.

Pendant ce temps, le Rwanda de Paul Kagamé amasse une véritable fortune. Entre 1998 et 2000, Kigali s'est octroyé une cagnotte de 250 millions de dollars, rien qu'avec le trafic du coltan congolais. Dans son rapport 2011, l'ONG britannique Global Witness fait remarquer que le Rwanda est devenu un important exportateur de minerais (68 millions de dollars de revenus, première ressources après le thé) alors que les autorités «refusent de publier les données complètes sur la production »nationale. Mais les dirigeants rwandais et ougandais ne sont pas ceux qui profitent le plus du pillage du Congo.

Dans son ouvrage «Congo - Une histoire », David Van Reybrouck décrit un vaste réseau : «des groupes miniers multinationaux, des compagnies aériennes obscures, des marchands d'armes notoires mais insaisissables, des hommes d'affaires véreux en Suisse, en Russie, au Kazakhstan, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne ».
En 2010, l'ancien secrétaire d'Etat américain aux Affaires africaines, Herman Cohen, parle, au sujet du coltan (le Congo détient entre 70 et 80% des réserves mondiales), qu'il génère des «milliards de dollars ». Dans un monde où on ne compte plus les braquages pour de la camelote, on imagine aisément l'ampleur des violences auxquelles sont exposées des populations vivant littéralement sur des gisements miniers. Des gisements qui génèrent «des milliards de dollars »à l'autre bout de la planète.

Quelqu'un croit toujours que Kabila, Museveni et Kagamé se rencontrent à Kampala pour parler du M23 et du peuple congolais ? Bah voyons... Ils parlent affaires, minerais, gros sous. Le M23 et l'espoir pour la paix au Congo,... des sujets pour la presse.

L'autre secret de polichinelle est qu'on a longtemps misé sur la disparition du Congo en tant que «nation ». Dès le déclenchement de la Première Guerre du Congo, le Rwanda et l'Ouganda, soutenus par un vaste réseau international alimenté par le pillage du Congo, avaient misé sur un effondrement programmé du Congo. Le Congo devait tomber en miettes. Des micro-Etats corvéables se formeraient çà et là et finiraient par être annexées par le Rwanda et l'Ouganda en vue de les saigner au profit des multinationales.

Ce fut un pari risqué, mais ses initiateurs brillèrent d'imagination. Des actions de lobbying soutenues furent menées pour dénigrer le Congo et les Congolais en les présentant systématiquement comme un Etat non-viable habité par des irresponsables. Des articles «assassins »se multiplièrent.

Sur le terrain, les élites congolaises (chefs coutumiers, militants des droits de l'Homme, intellectuels, prêtres, militants politiques,...) qui essayaient de lutter pour la préservation de leur patrie furent réduits au silence, assassinés, contraint à l'exil ou achetées pour se taire. Les populations qui essayaient de se révolter contre l'occupation furent systématiquement massacrées dans le silence des grands médias.

Tout a été fait pour que le Congo soit un pays inaudible et la souffrance de son peuple invisible sur les écrans. L'armée nationale fut «volontairement »affaiblie notamment par la pratique consistant à intégrer des milliers de soldats, et même des criminels rwandais et ougandais qui violaient, pillaient et massacrait la population pour créer la totale désespérance.

Le Congo devait devenir un «foutoir »pendant que le Rwanda et l'Ouganda prospéraient aux yeux de la communauté internationale. L'objectif affiché était de convaincre la communauté internationale, et même certains Congolais, qu'il n'y avait plus d'autre avenir que la liquidation du pays.

On comprend aisément le terrible complot en regardant des données objectives. Le Congo est sûrement le pays le plus riche d'Afrique en termes de ressources minières. Il est dirigé, depuis 17 ans par des hommes qui avaient promis la libération (AFDL), la démocratie (RCD), le développement (PPRD). Le dernier rapport du PNUD sur la pauvreté dans le monde parle de lui-même. Le Congo est classé tout dernier (186ème sur 186 pays).

Autrement dit, le pays n'était pas gouverné. Ses dirigeants attendaient son effondrement. Reste que l'ampleur de la destruction des populations (plus de six millions de morts, plus de 500 mille femmes violées) a fini par réveiller les consciences à travers le monde, et au pays.

Les autorités congolaises, pressées par la population, les ONG, l'Eglise catholique, la Monusco,... sont bien obliger de donner des signes de gage qu'elles sont bien au service du pays. Elles coulent littéralement sous le poids des accusations de trahison. La situation de Joseph Kabila, en particulier n'est plus tenable. L'hostilité de la population vis-à-vis de sa personne est telle, qu'il ne peut plus jouer à équilibriste : rester président congolais et continuer à servir des intérêts en totale contradiction avec les aspirations de son «peuple ».

A Kampala, il doit dire à Kagamé, maintenant nous sommes trop vus. Nos «combines »ne passent plus. Vous avez dit «sommet pour la paix »dans l'Est du Congo ? On en est encore loin.

-- © Le Potentiel/AGORAVOX