Un message franc et ferme de la communauté internationale a été livré hier à Kampala (Ouganda), au sommet des chefs d'Etat de la région des Grands Lacs. Au nom des Nations unies, l'émissaire Mary Robinson a souligné que l'on ne se contentera pas d'une victoire militaire sur le M23. Pour une paix durable, il urge de relancer le processus politique que les onze pays signataires se sont engagés à respecter en février dernier.

Encore une fois, le conflit opposant l'armée congolaise aux rebelles du M23 a servi de menu à la rencontre. Cette fois, le contexte est bien particulier : il y a surtout l'implication de la communauté internationale, avec notamment l'intervention des forces onusiennes qui ont infligé une défaite cuisante aux rebelles du M23. Ceux-ci ont dû céder du terrain et lancent à présent des appels pour que s'amorcent des discussions en vue d'instaurer la paix en RD Congo. L'ONU a donc bien fait d'entrer dans la danse, contraignant, de ce fait, les forces du M23 à reculer et à tenter vainement d'impliquer le Rwanda dans le conflit. Le M23 n'est plus un foudre de guerre. L'occasion est venue de se décider et d'agir une fois pour toutes.

Quadrature du cercle, la région des Grands Lacs se distingue par ses coups d'Etat, ses rébellions et ses guerres civiles à n'en plus finir. Les déplacements de populations y sont devenus comme un rituel. L'on se demande d'ailleurs à quoi servent ces sommets de chefs d'Etat qui se multiplient, mais qui n'aident pas à abréger la souffrance des populations. Quelle sincérité existe vraiment chez ceux qui les organisent et ceux qui participent à ces rendez-vous devenus ridicules ? En quoi cet énième sommet va-t-il changer quelque chose ? Que faire pour que la situation change définitivement ?

Il y a, en effet, de quoi douter de la sincérité des principaux chefs d'Etat concernés : Paul Kagamé du Rwanda, Yoweri Museveni de l'Ouganda et Joseph Kabila de la RD Congo. Ils ne sont pas crédibles ! A plusieurs reprises, ceux-ci ont pris des engagements envers leurs peuples qui aspirent à la paix et à une coexistence harmonieuse. Jamais, ces engagements n'ont été respectés ! Ces trois dirigeants, qui se comportent en mousquetaires, ont aujourd'hui intérêt à mettre fin à la réunionite et à aller à l'essentiel. Vrai que leurs pays sont tributaires d'une décolonisation mal effectuée. Le Rwanda et le Burundi, par exemple, ont été frustrés par le tracé des frontières qui les ont confinés dans une entité géographique insignifiante. Avec la poussée démographique, ils connaissent aujourd'hui des moments pénibles et vivent sans doute dans le secret espoir de voir se redessiner la carte de la région. Mais comment faire, l'UA, comme son aînée l'OUA, faisant de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation un principe clé ?

Dans les Grands Lacs, la boulimie du pouvoir est un virus bien partagé

C'est un fait que la cohabitation entre pays et communautés ethniques n'a pas été rendue facile par le colonisateur belge. Celui-ci n'était pas du tout heureux de partir de ces entités qui étaient naguère propriété de la Couronne. Bruxelles semble même avoir créé la division pour pouvoir revenir à l'occasion. On le voit dans les tiraillements entre Tutsi et Hutu. Ils prennent toutes les formes et cela depuis fort longtemps. Enfin, l'extrême richesse du sol ou du sous-sol ne profite nullement aux populations, mais à des intérêts égoïstes. Des nationaux et des étrangers, englués dans des groupuscules mafieux, font tout pour que le chaos s'inscrive dans la durée pour en tirer bénéfice.

Une solution durable est pourtant possible. Sauf qu'elle exige encore plus d'efforts. Reste à savoir si les vendeurs d'armes, les trafiquants des minerais et autres se laisseront faire. Il faudra bien sûr que les pays impliqués dans ces conflits aux mille visages cessent de parrainer ceux qui ont intérêt à laisser leurs propres concitoyens dans l'errance. Dans les Grands Lacs, la boulimie du pouvoir est un virus bien partagé. Par exemple, Joseph Kabila cherche à se faire élire pour un troisième mandat consécutif à la tête de la RD Congo. Le général Kagamé du Rwanda et l'ex-guérillero Museveni d'Ouganda, eux aussi, sont toujours avides de pouvoir. Les trois ont en commun la mal gouvernance politique, la mauvaise foi et la dictature comme traits dominants.

A elle seule, cette région résume les grandes détresses du continent, marquée par le pouvoir personnel, la caporalisation des masses, l'enrichissement illicite et l'impunité

Pourtant, depuis fort longtemps déjà, les Africains savent qu'on ne peut construire une nation forte et réellement démocratique dans l'hypocrisie. Les actes dont les peuples des Grands Lacs ont besoin aujourd'hui ne sont ni compliqués ni chers à produire. Ils se résument en des dispositions à prendre en urgence pour que la paix règne en maître et définitivement. Une paix qui s'inscrive dans la durée et qui permette, une fois les fils du dialogue rétablis, de s'atteler à construire une démocratie vraie. Il est temps d'arrêter d'entretenir cette tension inutile, en particulier entre Kigali et Kinshasa.

Après avoir exploité à fond la question génocidaire, le président Kagamé doit comprendre qu'il faut passer à autre chose. Si à un moment donné de l'histoire, par analogie au nazisme, les Occidentaux se sont montrés sensibles aux barbaries dont ont été victimes les Tutsi, il est de plus en plus certain aujourd'hui que le message est désuet. En tout cas, dans notre Afrique en mutation, et au sein de la communauté internationale, ce message qui réfère en permanence au génocide et à la victimisation passe difficilement. On se lasse surtout de voir le général-président s'éterniser au pouvoir au Rwanda. L'homme flegmatique ne souffre pas la critique, encore moins l'adversité. Comment gérer la chose publique, conduire un processus démocratique et ne pas digérer d'être indexé par ses propres concitoyens ?

A la tête de leurs États respectifs, les dirigeants de la région des Grands Lacs doivent comprendre que la nouvelle Afrique aspire à autre chose qu'à des tueries gratuites qui engendrent des déplacements scandaleux de populations livrées à elles-mêmes. Les propos démagogiques et la personnalisation du pouvoir n'y ont plus droit de cité. A elle seule, cette région résume les grandes détresses du continent, marquée par le pouvoir personnel, la caporalisation des masses, l'enrichissement illicite et l'impunité. Des solutions alternatives existent cependant. Il faut profiter des travaux de ce sommet pour cheminer vers la paix. Dans cette optique, on se doit de saluer les Nations unies pour avoir déclenché le processus. La RD Congo revient en force, mais il faut que la paix s'installe, et avec elle, le démantèlement des milices sous toutes les formes.

Si les Belges sont coupables de certains travers dont souffrent aujourd'hui les populations de la région, les dirigeants africains, qui leur ont succédé, ne sont pas exempts de défaillances. C'est pourquoi il faut espérer qu'au-delà de la paix, les processus démocratiques en cours conduisent rapidement à l'alternance démocratique vraie. Un renouvellement de la classe politique est urgent et nécessaire. Il constitue, de notre point de vue, l'unique solution à la détresse de l'ensemble des populations de la région.

-- © Jean-Jacques Omanyundu Wondo - Le Pays