Les ministres belges des Affaires étrangères et de la Coopération, Didier Reynders et Jean-Pascal Labille, ont annoncé mardi 24 septembre à New York que la Belgique envisageait un plan Marshal pour l'Est de la République Démocratique du Congo. Une excellente initiative, à première vue, mais qui ne tarde pas à soulever des interrogations en commençant par la timide réaction des autorités congolaises. Joseph Kabila se serait juste contenté de dire qu'il était favorable. A Kinshasa, le porte-parole du gouvernement a eu la même timide réaction : «favorable ». Même réaction à Kigali. Juste «favorables ». Étrange manque d'enthousiasme face à l'idée qu'on se fait d'un «plan Marshall », c'est-à-dire un vaste programme d'investissement multisectoriel destiné à enclencher l'essor de développement d'un pays ou d'une région sinistrée.

Une première explication viendrait de l'absence de consultation préalable des dirigeants congolais, et encore moins des populations congolaises qui en seraient bénéficiaires. Envisager un plan de développement sans consulter les «bénéficiaires »a quelque chose d'audacieux lorsqu'on considère qu'il s'agit d'une ancienne puissance coloniale. Dans tous les cas, la «générosité »ne faisant point partie de la logique des Etats (qui ne fonctionnent qu'en termes d'intérêts), la question du «plan Marshall »pour le Congo, initié par la Belgique, mériterait d'être abordée en mettant en perspective un certain nombre de considérations.

Le Congo est encore un pays en guerre

Engager un plan Marshall pour le Congo, dans les conditions actuelles, ne revient-il pas à mettre les charrues avant les bœufs ? En effet, lorsqu'en 1947, les Américains décident de financer la reconstruction des pays européens, la Seconde Guerre mondiale a déjà pris fin. L'Allemagne nazie a été vaincue. On pouvait donc investir dans une certaine sérénité.

Le Congo n'est absolument pas dans la même situation. Le pays est en guerre contre le Rwanda, l'Ouganda et un réseau international de prédation orchestrant le pillage des ressources minières du sous-sol congolais. A tout moment les combats peuvent reprendre dans le Kivu. D'ailleurs, les signes annonçant de nouveaux affrontements se multiplient[1]. Aller investir des millions d'euros et de dollars dans une région comme celle-là relève d'un raisonnement digne du tonneau des Danaïdes.

Les pays européens sont déjà empêtrés dans des programmes de développement sans lendemain dans une autre région en proie à une violence endémique. En Palestine, les Européens financent la construction des infrastructures qui sont rasées dès le déclenchement des hostilités avec l'armée israélienne. Les ruines sont déblayées pour l'édification de nouveaux bâtiments qui sont, à leur tour, rayés de la carte. Absurde, non ! On croit jeter l'argent des Européens par la fenêtre...

On ne met pas les charrues avant les bœufs, faut-il toujours le rappeler. Il faut commencer par régler le conflit. Il faut soutenir le Congo dans ses efforts visant à reprendre le contrôle du territoire national et la maitrise de ses frontières. Étrange réflexion des ministres belges qui parlent de «construire un pont entre le Congo et le Rwanda et non un mur ». Des propos qui résonnent comme une accusation gratuite contre un Congo qui, en dépit des agressions à répétition qui martyrisent sa population, n'a jamais envisagé d'enfermer ses voisins derrière un mur.

Le Congo est avant tout «un pays », pas «une région géographique »

Un plan Marshall conçu dans l'intérêt des Congolais doit tenir compte du besoin existentiel du Congo en tant que «nation ». Dans l'angoisse autour des complots visant à balkaniser le Congo, il est assez surréaliste d'envisager un vaste plan de développement qui ne profiterait, pour l'essentiel, qu'à deux provinces (le Nord-Kivu et le Sud-Kivu) sur les 26 que compte le pays. Comment les Congolais des 24 autres provinces regarderaient leurs compatriotes du Kivu qui profiteraient d'un plan Marshall ? Les autorités belges qui connaissent assez bien le Congo doivent savoir que des mécontentements se murmurent déjà dans plusieurs provinces sur le fait que l'attention de la communauté internationale reste focalisée sur la seule région du Kivu.

Car la réalité de la guerre du Congo est qu'elle a entraîné la ruine du pays dans son ensemble suivant deux formes de destruction. Pendant que les provinces de l'Est sont détruites par les combats, les autres provinces sont détruites par l'abandon et l'inattention, l'essentiel des moyens du pays étant absorbé par l'effort de guerre. Un pays ne peut pas à la fois financer les opérations militaires dans une région et construire des routes et des écoles dans d'autres.

On évite de mettre de l'huile sur le feu en découvrant la misère qui sévit dans certaines régions, notamment de l'Ouest du Congo. Il y a des zones où le taux de pauvreté dépasse l'entendement. Jusqu'à 93% de la population. Comment ces Congolais réagiraient en apprenant que la Belgique, l'Union européenne et la Banque mondiale vont verser plus d'un milliard de dollars pour financer des projets commun de développement qui associerait «leurs compatriotes »du Kivu et les dirigeants rwandais ?

Lorsqu'on veut briser la cohésion interne d'une nation, on ne s'y prend pas autrement.

Un plan Marshall, oui, mais pour quel résultat ?

Avant d'envisager un plan Marshall pour le Congo, la Belgique serait bien inspirée de se positionner par rapport au débat récurrent[2] autour de l'inefficacité de la politique d'aide des pays du Nord aux pays d'Afrique. Pas un seul pays d'Afrique n'a réussi à se développer grâce à l'aide fournie par les pays occidentaux, un demi-siècle après l'accession de l'Afrique à l'indépendance.

Dans son ouvrage intitulé «L'aide fatale », l'économiste zambienne Dambisa Moyo affirme radicalement que l'aide extérieure est mauvaise pour l'Afrique et qu'elle devrait être arrêtée[3]. En Afrique, cette aide crée la dépendance, encourage la corruption, perpétue la mal-gouvernance et la pauvreté. Pendant ce temps, les pays d'Asie et d'Amérique Latine qui ont reçu moins d'aide publique au développement semblent solidement mis sur les rails du progrès[4].

Pourquoi reproduire les logiques qui ne marchent pas sans procéder au moindre diagnostic ? Car le Congo est confronté, en plus des difficultés liées à la guerre, à d'autres formes de handicap au développement qu'on relève dans les pays où l'aide au développement Nord-Sud n'a produit aucun résultat durable. Une corruption endémique, un manque de structures étatiques fiables, une faible «capacité d'absorption »,... L'aide fournie dans un environnement comme celui-là, est, soit détournée de ses objectifs de départ, soit génère des structures inadaptées ou trop couteuses pour que «le pays bénéficiaire »réussisse à en assurer la viabilité[5].

Les leçons du Zaïre de Mobutu

Par ailleurs, se pose toujours la question de la légitimité du pouvoir actuel de Kinshasa issu d'élections frauduleuses de novembre 2011. Envisager une aide ou un plan Marshall avec des dirigeants qui règnent par défi reviendrait à reproduire les mêmes erreurs que sous le règne de Mobutu. Le Maréchal zaïrois soutenu, en dépit du bon sens, par la Belgique, les États-Unis et la France, finit son règne avec une fortune personnelle équivalant au montant de la dette extérieure d'un Congo exsangue. L'aide allouée à des régimes politiques comme ceux-là devient, pour faire simple, un soutien amoral à des dirigeants corrompus maquillé en «aide au développement ».

Plus globalement, il n'est pas responsable de véhiculer l'idée selon laquelle le Congo aurait besoin d'être continuellement aidé. C'est une vision qui participe de l'asservissement des dirigeants congolais. Ces derniers misent sur l'aide extérieure alors qu'il leur suffirait de ne pas détourner ou dilapider les ressources nationales comme cela est régulièrement dénoncé[6]. En novembre 2011, le député britannique Eric Joyce a rapporté que le Congo a perdu jusqu'à 5,5 milliards de dollars[7] dans des transactions minières douteuses avec des sociétés basées dans les Iles Vierges Britanniques, peu avant la réélection contestée de Joseph Kabila. On est tenté de dire : c'était évident !

Il est en effet de notoriété publique que, comparé à d'autres pays pauvres de la planète, le Congo n'est pas un pays démuni, en termes de ressources. Bien entendu, dans le cadre de la coopération bilatérale ou multilatérale, des coups de main çà-et-là peuvent être envisagés. Juste des coups de main. Car il faut durablement admettre que le Congo, à l'instar de n'importe quel pays, a, pour son développement, un plus grand besoin d'investisseurs que de «généreux donateurs ».

Dès lors, l'idée d'un plan Marshall n'est pas de nature à susciter l'enthousiasme.

[1] Les pourparlers de Kampala entre le gouvernement congolais et le M23 s'enlisent. Pendant ce temps, on signale l'arrivée de 200 familles dans la zone contrôlée par le M23. Ces familles seraient des ressortissants «Rwandais »récemment expulsés de la Tanzanie. Si l'information se confirme, il s'agirait d'un acte délibéré de provocation de la part du Rwanda, prélude à de nouveaux combats au nom de la protection des populations qu'on appelle abusivement les «Tutsis congolais ».

[2] http://terangaweb.com/le-debat-sur-...

[3] Dambisa MOYO, L'aide fatale - Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique, JC Lattès, 2009.

[4] http://www.afrik.com/article14739.html

[5] Cas des projets financés par l'Union européenne entre 2003 et 2011. Le rapport d'audit est commenté par Colette Braeckman sur http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

[6] http://desc-wondo.org/dumping-des-s...

[7] http://ericjoyce.co.uk/wp-content/u...

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