En reprenant le contrôle de Bunagana, siège politique du M23, le 30 octobre, après avoir pris le contrôle de la base militaire de Rumangabo, deux jours auparavant, l'armée nationale congolaise (les FARDC) met pratiquement un point final aux aventures politico-militaires du Rwanda et de l'Ouganda dans l'Est de la République Démocratique du Congo. La tournure des évènements aura été facilitée par au moins deux facteurs. Le premier réside dans un profond travail de prise de conscience qui traverse toutes les couches de la nation congolaise, au pays comme dans la diaspora, depuis l'humiliation subie par la chute de Goma entre les mains du M23, le 20 novembre 2012. Les Congolais se sont collectivement critiqués et remis en question, surtout les militaires profondément blessés dans leur amour-propre. Depuis, fermement soutenus par la population, les soldats se battent avec une discipline, un calme et un professionnalisme (pas de bavure) dignes des «grands peuples »lorsqu'ils décident de «se réveiller ». Le deuxième facteur réside dans le réalisme des dirigeants américains. Face à l'ampleur des souffrances infligées aux populations de l'Est du Congo et l'absence de perspective dans les rêves expansionnistes de Paul Kagamé (Rwanda) et Yoweri Museveni (Ouganda), les Etats-Unis semblent désormais miser sur les bénéfices d'un Congo pacifié. Les menaces de sanctions contre les dirigeants rwandais, pour leur soutien au M23, portent là leurs premiers fruits. Le régime de Kigali semble avoir pris conscience des risques qu'il prend en défiant continuellement son «protecteur » américain.

Mais pour les Congolais, le plus difficile commence. Car, comme on dit, les soldats gagnent la guerre, mais la paix est essentiellement l'affaire des politiques. Trois défis, au moins, se présentent aux dirigeants congolais : le défi de la justice pour réhabiliter les victimes et en finir avec l'impunité, le défi de la légitimité du pouvoir politique et le défi de la prospérité économique et sociale au profit des populations.

La justice des vainqueurs ou la réconciliation nationale ?

Il convient de rappeler que le M23 a été créé pour entraver l'arrestation du général Bosco Ntaganda, responsable de crimes de guerre et crimes contre l'humanité (massacres, assassinats, viols, enrôlement d'enfants,...) qui lui avaient valu d'être recherché par la Cour Pénale Internationale. Les Congolais sont restés fermes et ont payé un lourd tribut dans ce difficile combat contre l'impunité. Ils ont fini par le remporter. Le devoir de mémoire voudrait que ce sacrifice soit dédié aux victimes des groupes armés et serve de point de départ pour un Congo qui refuse toute forme de compromis avec l'impunité. A ce titre, la découverte de deux fosses communes à Kibumba où, manifestement, le M23 exécutait ses victimes, y compris des enfants (on y a trouvé des ossements d'enfants) devrait rapidement donner lieu à une enquête internationale et la constitution d'un dossier judiciaire.

Par ailleurs, les dirigeants du M23, protégés au Rwanda et en Ouganda, devraient se faire signifier au plus vite qu'ils n'y aura pas d'impunité et qu'ils devront répondre de leurs actes devant la justice. Nombreux figurent depuis longtemps sur les listes actualisées des personnes visées par les sanctions de l'ONU, de l'Union européenne et du gouvernement américain. Leur arrestation serait un message fort pouvant servir au titre de dissuasion pour les autres seigneurs de guerre encore actifs dans les maquis de l'Est.

Reste que le défi de la justice impose aux Congolais d'aller au-delà des membres du M23. Les violences contre la population ne datent pas de la création du M23 (avril 2012). Il faut avoir l'honnêteté de remonter au moins au déclenchement de la Première Guerre du Congo (1996). Le M23 est né du CNDP, qui, à son tour est né du RCD, lequel a été formé par les mécontents de l'AFDL, dont une partie des dirigeants sont au cœur du régime actuel de Kinshasa dirigé par Joseph Kabila. Les six millions des morts du Congo et les 500 mille femmes violées ne sont pas de la seule responsabilité des dirigeants du M23. Pour aller loin, les Congolais doivent s'armer de courage et regarder leur difficile vérité historique en face pour ne pas tomber dans la facilité de la «justice des vainqueurs ». Celle-ci ne servirait qu'à alimenter le sentiment du deux poids deux mesures et des frustrations susceptibles de dégénérer en nouveaux conflits.

Une victime de viol au Kivu. Photo © theguardian.
Une victime de viol au Kivu. Photo © theguardian.

Le Congo peut ainsi opter pour la «ligne dure », sur l'exemple du Rwanda de Paul Kagamé, consistant à la traque systématique des suspects, avec les dérives qu'on connaît (fracture de la nation rwandaise, dictature,...), ou bien choisir ce qu'on peut appeler la «ligne Mandela »qui se lit dans l'esprit de la Commission vérité et réconciliation. Les responsables des crimes les plus graves (actes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre) sont effectivement traduits en justice. Les autres bénéficient d'une certaine compréhension de la nation en échange de confessions publiques et du pardon pour réhabiliter les victimes dans leur dignité. C'est la ligne qui pourrait avoir les faveurs de la «communauté internationale »si on en croit Herman Cohen, l'ancien secrétaire d'Etat américain aux affaires africaines.

Plus important, le Congo gagnerait surtout en créant une institution nationale chargée d'assurer le travail de mémoire et de prise en charge de ses millions de victimes. Il s'agit d'éviter que les victimes d'aujourd'hui, de «la guerre du coltan pour les téléphones portables », ne tombent dans l'oubli comme ce fut le cas des victimes du «caoutchouc rouge pour le pneu gonflable »à l'époque de Léopold II. Le Congo n'est pas à l'abri d'un nouveau cycle de massacres orchestré pour répondre aux besoins du marché international.

La légitimité du pouvoir politique

La tentation des dirigeants de Kinshasa, le Président Kabila en particulier, pourrait être d'accaparer les bénéfices politiques des succès des FARDC. Ce serait une grossière erreur et le début d'un climat politique exécrable à travers le pays. Ce serait réduire l'armée nationale au rang de simple instrument politique au service d'un seul homme, et non une institution d'Etat ayant vocation à fonctionner au-dessus des contingences politiques. Une telle instrumentalisation de l'armée avait servi Mobutu avant de lui être fatale. On fit la guerre contre l'«armée de Mobutu »et non l'armée du peuple congolais.

Le Congo est assez grand pour ne plus être sous la coupe d'un «homme fort ». Il a mieux à faire en consolidant des «institutions fortes », pour donner échos au discours de Barack Obama de juillet 2009 à Accra. Ces soldats congolais, qui viennent de restaurer la dignité d'un peuple humilié, les dirigeants congolais s'honoreraient en les laissant en dehors des calculs politiciens. D'autant plus qu'il reste énormément de travail à faire pour restaurer l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire national. Les dirigeants congolais doivent plutôt régler leurs problèmes de légitimité là où il réside effectivement.

Il faut rappeler à ce titre que Joseph Kabila se maintient au pouvoir sur la base des résultats d'une élection chaotique, celle de novembre 2011. Ce contentieux reste dans la tête des Congolais et les opérations militaires dans le Kivu ne changent rien à la conviction, pour une large partie des Congolais, qu'on leur a volé l'élection de 2011.

Par ailleurs, on ne sait toujours pas, avec certitude, si Joseph Kabila se présentera en 2016, en violation de la Constitution qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels (articles 70 et 220). Le Secrétaire général de la majorité présidentielle, Aubin Minaku, a assuré que «Kabila partira après les prochaines élections ». Dont acte. Mais même s'il s'en allait, il reste des inquiétudes sur le risque de fraude, voire de violences en marge de prochaines élections. Les Congolais gardent de douloureux souvenirs des affrontements, par partisans interposés, entre Jean-Pierre Bemba et Joseph Kabila en 2006 et des affrontements, tout aussi violents, entre Etienne Tshisekedi et Joseph Kabila en 2011. Le dauphin que pourrait désigner Joseph Kabila pour sa succession, ne risque-t-il pas, lui aussi, d'avoir la main lourde en 2016 ?

Toujours au sujet de la légitimité politique, il convient de rappeler l'autre dossier litigieux. Le sénat actuel de la RDC est l'émanation des élections provinciales de 2006. Selon le calendrier électoral publié en 2011, par le bureau sortant de la Ceni (Commission nationale électorale), les élections provinciales, locales, urbaines et municipales étaient prévues pour le 25 mars 2012. Elles sont repoussées en 2014, selon l'Abbé Apollinaire Malu Malu, président de la Ceni. Ainsi le pays fonctionne-t-il avec des dirigeants (même les sénateurs) manifestement privés de légitimité politique, et pas seulement. Les graves difficultés d'ordre économique et social, auxquelles les Congolais sont confrontés au quotidien, aggravent considérablement le ressentiment autour de la question de la légitimité du pouvoir en place.

Le défi de la prospérité économique et sociale

Il faut toujours rappeler que la République Démocratique du Congo, en dépit de ses immenses richesses naturelles, est tout dernier au classement mondial de la pauvreté, selon le dernier rapport du PNUD[1]. Les richesses du pays sont absorbées dans des circuits opaques, nationaux ou étrangers[2], dont certains «connaisseurs »accumulent des richesses faramineuses pendant que la pauvreté fait des ravages dans l'immense majorité de la population. Dans certaines régions du Congo, la pauvreté atteint jusqu'à 93 % de la population.

Maintenant que le travail de conscience national semble marquer des progrès, il y a au moins deux chantiers qui devraient être pris à bras le corps : celui de l'attractivité pour les investisseurs (créateurs de richesses), nationaux et étrangers (le Congo est 183ème sur 189 au classement Doing business/facilité à faire les affaires) et, plus difficile, celui des infrastructures (routes, écoles, hôpitaux, électricité, eau,...).

Dans les «milieux occidentaux », il semble que des projets sont déjà dans les tuyaux. Ils pourraient être essentiellement orientés vers les régions de l'Est du pays riches en gisements miniers. On parle d'un plan Marshall. Il est critiquable, voire contestable. Mais s'il finit par être posé sur la table, c'est aux Congolais de savoir le recadrer en veillant, notamment, à ce qu'il ne participe pas de la fracture du pays entre régions de l'Est et régions de l'Ouest, et surtout qu'il contribue de façon effective aux objectifs prédéfinis de prospérité pour la population.

Tirer profit des atouts du développement durable

Un autre enjeu de développement réside dans l'immense potentiel hydroélectrique du pays qui verra émerger le plus grand barrage hydroélectrique du monde (Inga3) et devrait fournir assez d'électricité (40.000 mégawatts) pour couvrir le tiers des besoins de l'Afrique. Au potentiel hydroélectrique s'ajoute la riche forêt congolaise (deuxième poumon écologique du monde après la forêt amazonienne). Dans un monde où grandit l'angoisse autour de la pollution et du réchauffement climatique, le Congo a peut-être, une fois de plus[3], les meilleurs atouts pour négocier le tournant du siècle, celui du développement durable.

Aux élites congolaises (politiques, intellectuels, leaders communautaires,...) d'en prendre conscience et d'en tirer le meilleur profit pour assurer la prospérité d'un peuple trop longtemps martyrisé pour ses richesses naturelles.

Une paix durable ne sera acquise que si, collectivement, les Congolais ont le sentiment de bénéficier correctement des richesses de leur pays.

Boniface MUSAVULI

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