Arrêté puis détenu au secret plus de deux mois à Kinshasa avant d'être libéré le 3 février, Frédéric Boyenga Bofala, le président de l'Union pour la République - Mouvement national (Unir-MN), revient pour la première fois sur sa mésaventure en RDC.

Il n’est pas encore prêt à tout dire. Un mois après sa libération, Frédéric Boyenga Boyala est toujours « sur [ses] gardes ». Pendant sa détention, il avait sa petite idée sur les commanditaires de son enlèvement, mais aujourd’hui il n’en est plus certain. « Je suis perdu », nous confie-t-il ce jeudi 30 mars.

Mais qu’est-ce que ce Français d’origine congolaise (il revendique par ailleurs une double nationalité), docteur en droit international et leader d’un micro-parti, l’Union pour la République – Mouvement national (Unir-MN), est allé chercher dans le marigot politique congolais ? Qui a ordonné son arrestation et celle de Pablo Diumbu Ndjeka, son accompagnateur, le 17 novembre ? Quelles étaient leurs conditions de détention ?

Pour la première fois depuis sa libération, Frédéric Boyenga, 57 ans, accepte de revenir sur ces onze semaines qui l’ont propulsé au cœur des tractations diplomatiques entre la France et la RDC.

Première étape : la détention au secret

Ses premières heures de détention se déroulent dans une résidence privée où il est interrogé par un « général connu » [dont il ne souhaite pas révéler l’identité, ndlr], avant d’être transféré vers 2 heures du matin au camp Tshatshi.

 

 

Pendant cette première semaine de détention, il ne se passe rien. Aucun interrogatoire, aucune visite, ni de ses proches ni de son avocat. Mais ses bourreaux lui permettent tout de même de sortir de sa cellule improvisée pour prendre l’air. « C’est en ce moment-là que je me suis rendu compte que j’étais bien au camp Tshatshi », se souvient Frédéric Boyenga.

En revanche, il n’a pas le droit de se laver. Jusqu’à ce que, plus d’une semaine après, une « décision venue d’en-haut » amène ses geôliers à le conduire dans un hôtel afin de prendre une douche et de se restaurer .

Pendant sa deuxième semaine de détention, le quinquagénaire est soumis à un interrogatoire. « Les questions sont rudes », dit-il, même s’il assure n’avoir décelé « aucune animosité » de la part de ses interlocuteurs. C’est à lui d’expliquer les raisons de son séjour en RDC et, raconte-t-il, de donner la preuve de sa présumée culpabilité.

« Ceux qui m’interrogeaient ne me demandaient jamais d’apporter la preuve de mon innocence. Pour eux, j’étais présumé coupable », se désole-t-il.

Deuxième étape : résidence surveillée improvisée

Début décembre, Boyenga est placé dans « une sorte de résidence surveillée ». Il quitte sa cellule du camp Tshatshi et va habiter dans la maison d’un officier de l’armée à Binza, quartier situé à l’ouest de Kinshasa.

« Là-bas, j’ai retrouvé un semblant de vie », reconnaît l’infortuné.

 

 

Troisième étape : soupçons de complot 

C’est à Binza que les choses se corsent. Alors que Boyenga a toujours répété qu’il était venu à Kinshasa sur l’invitation de son « ami » Évariste Boshab, alors vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, ceux qui l’interrogent prétendent que l’ami en question l’a renié. Le président de l’Unir-MN est alors « accusé » de « fomenter un coup pour déstabiliser la République ».

 

Le 20 décembre, Boyenga est de nouveau déplacé, de la maison de l’officier vers une villa moderne de la capitale. Mais il n’est toujours pas libre. « On m’a expliqué qu’on nous plaçait là pour que je me prépare psychologiquement à rencontrer le chef de l’État et à discuter avec lui de mes propositions pour la période de transition », soutient-il. La rencontre n’aura jamais lieu.

À la veille de sa libération, il effectue le 2 février, avec son compagnon d’infortune Pablo Diumbu Ndjeka, une dernière escale carcérale au local de l’Agence nationale de renseignement (ANR). Mais il en garde un souvenir plutôt bon. À l’en croire, pendant sa détention au secret, ce service de sécurité ne savait pas où il se trouvait. C’est seulement lorsque son téléphone a pu être localisé qu’il a été retrouvé par l’ANR et remis en liberté. Difficile à vérifier.

Toujours est-il que Boyenga a déjà demandé la suspension des poursuites contre X initiées en France par la famille de Pablo Diumbu Ndjeka. Il a en revanche une dent contre les politiques congolais et les évêques catholiques, médiateurs des pourparlers, qui n’auraient, selon lui, rien fait pour sa libération.

« Les petits militaires de la garde républicaine étaient plus humains envers moi que les hommes politiques », soutient-il.

 

 

Quatrième étape : la sortie de crise selon Boyenga

Sur le terrain purement politique, Boyenga revendique un statut de « proposant ». « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la recherche d’un positionnement politique mais plutôt ce que je dois faire pour le Congo », explique ce natif de Mbandaka, dans le nord-ouest du pays.

« Je peux toutefois être classé dans l’opposition parce que je ne suis pas de la Majorité présidentielle », précise-t-il. Pas question pour autant de rallier les différents regroupements politiques de l’opposition en RDC. « Le pays se trouve aujourd’hui dans le chaos à cause de la médiocrité dans cette classe politique », dénonce-t-il.

Jamais invité à prendre part aux pourparlers de ces dernières années en RDC, Boyenga met néanmoins ses propositions de sortie de crise sur la table. Parmi les pistes suggérées, la mise en place d’un « geronsia » qu’il définit comme un « conseil national des anciens ». Une institution qui serait composée entre autres par les ex-présidents de la République et anciens Premiers ministres. D’ailleurs, à l’en croire, le Conseil national pour le suivi de l’accord (CNSA), issu du compromis du 31 décembre, ne serait qu’un mauvais plagiat de sa proposition.

Pour lui, le début de la solution à la crise congolaise passe par le règlement du sort de l’ancien président en RDC. « Que va devenir Joseph Kabila après son mandat ? Je propose la ‘geronsia’ dont les membres jouiront d’une immunité juridictionnelle », préconise Boyenga. « Une vraie réponse à la vraie question de la crise », estime-il, soulignant par la suite la nécessité d’un processus électoral inclusif : « Il faut prendre désormais en compte les populations congolaises de l’étranger. »

-- © Mathieu Olivier et Trésor Kibangula — Jeune Afrique