Dr Noel K. Tshiani : «Le comité de politique monétaire, le conseil d'administration et les commissionnaires aux comptes de la Banque Centrale du Congo sont soit illégaux, soit hors mandat légal »
Haut fonctionnaire international à la Banque mondiale et auteur de trois ouvrages sur la monnaie (dont le plus récent s'intitule : La bataille pour une monnaie nationale crédible, paru aux éditions De Boeck à Bruxelles) , Dr Noël K. Tshiani s'est confié au journal Le Potentiel, en vue de livrer sa vision sur la monnaie nationale congolaise , la Banque centrale du Congoet le système financier. . Pour lui, «un pays qui ne contrôle pas sa monnaie et son système financier, ne contrôle pas son économie ». Interview.
Il y a eu beaucoup de banques liquidées pendant ces dernières années en RDC. Est-ce que cela a affecté la confiance dans le système financier ?
Je déplore la manière dont certaines banques sont brutalement liquidées sans que les déposants soient remboursés de leurs dépôts et n'aient même pas un seul moyen de recours. De 2000 à ce jour, dix banques ont été liquidées en RDC. La dernière liquidation est celle de la Banque congolaise intervenue en Janvier 2011. Quand il n'y a pas d'institution de garantie des dépôts, il est évident que les déposants font confiance à l'autorité monétaire qui assure la surveillance et le contrôle du système bancaire.
En cas de liquidation d'une banque commerciale tel est le cas actuellement de la Banque congolaise et de toutes les autres liquidations antérieures, il faut que la Banque centrale du Congo et le gouvernement assument la responsabilité des dépôts, sinon l'on détruit davantage la confiance du public dans le système bancaire. Une telle confiance est déjà au plus bas niveau dans un pays où le taux de bancarisation n'est que de 0,9 pour cent de la population de 72 million d'habitants, de loin inférieur à la moyenne africaine de 25 pour cent.
A ma connaissance, c'est l'un des taux de bancarisation les plus faibles du monde. Le pays ne peut donc pas se contenter de la situation actuelle du système bancaire qui ne peut véritablement pas soutenir le développement économique et satisfaire aux besoins réels du secteur privé et du public congolais.
Un tel constant interpelle les décideurs et exigent une nouvelle vision, et une autre façon de faire les choses. Mon avis, Il faut lier le développement du secteur financier congolais à l'évolution du secteur privé et de l'économie dans le pays.
Les banques et établissements financiers accompagnent le secteur privé. Pour que le secteur financier se développe, il faut que le secteur privé évolue dans un environnement favorable à son expansion. C'est pour cela que les autorités gouvernementales doivent accélérer les réformes visant l'amélioration de l'environnement des affaires.
Quelles sont, d'après-vous, les causes de la chute vertigineuse de la monnaie nationale congolaise depuis 1997 ?
Les causes de la chute de la monnaie congolaise sur les quinze dernières années sont multiples et incluent la culture de tricherie au niveau de la haute direction de la Banque centrale du Congo, l'absence d'une vision de développement du secteur financier, l'absence d'une distance suffisante entre la Banque centrale et la branche exécutive du gouvernement.
Les questions de gouvernance et de conflits d'intérêts au niveau de l'autorité monétaire et de certaines institutions financières importantes, la qualité des produits et services de la banque centrale, l'absence des incitations appropriées pour le personnel de la banque centrale, le comportement affairiste des dirigeants de la Banque centrale du Congo et enfin l'environnement inapproprié de la banque y compris des infrastructures physiques, systèmes d'information et procédures de fonctionnement et de gestion de risques.
Toutes ces défaillances amplifient les conséquences dans un contexte national marqué par un environnement politique instable pendant plusieurs années, le manque de cohérence entre les politiques monétaire et budgétaires, le manque d'une stratégie cohérente de développement du pays, l'inexistence de politiques économiques et financières saines, l'absence totale d'une discipline budgétaire et fiscale, l'insuffisance de la production nationale, et la mauvaise gestion des ressources à plusieurs niveaux.
Vous parlez de manque de vision de développement du secteur financier, mais il y a quand même augmentation du nombre des banques en RDC pendant les quinze dernières ? Qu'en dites-vous ?
Je partage le constat que les banques et établissements financiers fleurissent au Congo pendant ces seize dernières années (ce qu'il faut saluer d'ailleurs). Mais la question fondamentale reste celle de l'adéquation du système financier congolais dans son ensemble aux besoins de développement du pays.
C'est pour cela que j'appelle à une prise de conscience nationale pour que la RDC se dote en urgence d'une vision claire de développement du secteur financier qui soutienne les ambitions de croissance économique accélérée et d'un développement économique et social axé sur la dynamique du secteur privé. Sans cette vision, la multiplicité de petites banques étrangères concentrées pour l'essentiel à Kinshasa, reste sans impact tangible et réel sur le vécu quotidien des Congolais et sur l'économie nationale.
Il faut encourager l'émergence des trois ou quatre grandes banques nationales qui accompagneraient le développement économique du pays et qui seraient un relais de la vision de l'autorité monétaire et du leadership politique du pays.
Que faire pour mettre un terme à la dollarisation de l'économie en RDC ?
La fin de la dollarisation de l'économie ne se décrète pas du jour au lendemain par une baguette magique. Si cet avis est partagé, il ne reste pas moins vrai qu'il faut que le Congo ait un plan clair avec un horizon temporel raisonnable pour mettre fin à la dollarisation afin de ne pas laisser perdurer la situation actuelle indéfiniment. C'est à ce prix que le pays reprendrait le contrôle non seulement de sa monnaie, de son système financier et aussi de son économie.
Il est bien entendu que dans cet horizon temporel raisonnable et réaliste, il faut que la RDC continue à renforcer sa crédibilité à travers une gestion macroéconomique rigoureuse, notamment en maintenant un niveau d'inflation faible, régulier et prévisible, ce qui n'est pas évident lorsqu'on ne contrôle pas entièrement la masse monétaire circulant dans le pays.
La question de la qualité, du degré et de la pérennité de la stabilisation macroéconomique est ainsi posée. Sans verser dans la théorie, une loi sur la reforme du système de paiement au Congo s'impose. Une telle loi devrait couvrir les moyens de paiements conformes aux dispositions constitutionnelles en vigueur, la monnaie acceptable pour les transactions dans le pays, les sanctions et amendes des récidivités, et surtout le délai raisonnable et réaliste pour le passage d'un système de dollarisation à celui où une monnaie nationale crédible devient effective conformément à la constitution du pays.
La fin de la dollarisation doit être précédée et accompagnée d'une longue campagne de communication pour que la population comprenne le bien-fondé de la démarche et s'approprie le processus. Il faudra donc faire un bon mélange des règles de dollarisation basées sur le marché et la persuasion, et une certaine dose de règlementation. La seule bonne volonté ne suffit.
Quelle évaluation faite vous du processus de conception et de mise en œuvre de politique monétaire en RDC ?
Le processus de conception et de mise en œuvre de politique monétaire a besoin d'être assaini car actuellement, il y a beaucoup de copinage et des choses qui se font en dehors du cadre légal. La constitution du pays, en son article 176, dit que la Banque centrale est indépendante et jouit de l'autonomie de gestion.
La Constitution stipule en plus que l'organisation et le fonctionnement de la banque centrale sont régis par une loi qui est la loi n°005/2002 du 7 mai 2002. A travers l'article 18 de la loi 005/2002 du 7 mai 2002 relative à l'organisation et au fonctionnement de la banque centrale, le Conseil d'administration de la Banque centrale est responsabilisé, entre autre, pour la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire. Il n'existe pas dans la constitution du pays et dans la loi n°005/2002 sur la Banque centrale un quelconque comité de politique monétaire ayant pour mission la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire.
Tant que la Constitution et la loi sur la banque centrale n'ont pas été modifiées, il est malsain de laisser les décisions de politique monétaires sous la responsabilité d'un comité constitué par ordre de service d'un individu, notamment le gouverneur de la Banque centrale du Congo.
Il est à noter que le comité de politique monétaire actuel avait été créé par le gouverneur de la banque centrale et était supposé inclure, en plus des agents de la banque centrale, des représentants du gouvernement et de la présidence de la république. Ce comité est illégal car étant contraire à l'esprit de l'indépendance de la Banque centrale telle que stipulée dans l'article 176 de la constitution et soulève aussi la question des conflits d'intérêt car après le refus des membres du gouvernement et de la présidence de la République de participer, le comité n'inclut maintenant que les seuls agents de la banque centrale qui sont tous recrutés, nommés et promus par un seul individu qui est en même temps le président du comité.
A mon avis, cette structure n'est pas un comité de politique monétaire tel qu'on l'entend dans tous les autres paysdu monde, mais une Task force interne à la Banque centrale qui prend des décisions importantes sans en avoir l'autorisation ou le pouvoir légal.
Qu'en est il du conseil d'administration de la Banque centrale du Congo ?
La loi 005/2002 du 7 mai 2002 relative à l'organisation et au fonctionnement de la Banque centrale du Congo reconnait trois organes de la Banque centrale : le Conseil de la Banque, le Gouverneur et le Collège des commissaires aux comptes. Le Conseil de la Banque est l'organe suprême qui a les pouvoirs les plus étendus pour concevoir, orienter la politique de la Banque et contrôler la gestion.
Le conseil prend en particulier les actes relatifs à la conception et à la mise en œuvre de la politique monétaire, et à la règlementation du crédit et du change. La loi stipule clairement que le Conseil de la Banque est composé de sept membres, parmi lesquels le Gouverneur, le Vice-Gouverneur est cinq experts appelés Administrateurs choisis en raison de leurs compétences, qualifications et expérience professionnelles en économie, monnaie, et finances.
Est-ce que les membres du conseil de la Banque centrale ont des mandats à vie ?
Non, pas du tout. Les administrateurs de la Banque centrale sont désignés pour des mandats de trois ans renouvelables. C'est ma compréhension que les mandats des administrateurs actuels ont expiré depuis trois ans et n'ont pas été renouvelés bien qu'ils continuent à siéger illégalement et à percevoir des jetons de présence auxquels ils n'ont plus droit.
Et qu'en est il alors du collège des commissaires aux comptes ?
Le collège des commissaires aux comptes assure le contrôle des opérationsfinancières de la Banque. Il certifie la véracité et l'intégrité des comptes de la Banque centrale. Les commissaires aux comptes sont nommés sur proposition du Ministre des Finances pour une durée de deux ans renouvelable une fois. Le changement régulier des commissaires aux comptes est très nécessaire pour éviter des complaisances qui risquent de compromettre l'intégrité des comptes de la banque. Il est regrettable de constater que le mandat des commissaires de la Banque centrale du Congo a expiré depuis deux ans et aucune action n'a été prise pour la désignation de nouveaux commissaires aux comptes.
La Banque Centrale du Congo opère donc dans l'illégalité ?
Comme je viens de vous le dire, la politique monétaire est conçue et mise en œuvre par le comité de politique monétaire qui n'existe ni dans la constitution du pays, ni dans la loi 005/2002 sur la banque centrale. Ce comité prend des décisions dont il n'a pas mandat légal. Et nous avons un conseil d'administration de la Banque centrale dont les mandats des membres ont expiré depuis trois ans et n'ont pas été renouvelés.
Mais ces membres continuent à se réunir et à percevoir allègrement des jetons de présence en toute illégalité. Et enfin, nous avons des commissaires aux comptes dont les mandats ont expiré depuis deux ans et continuent à certifier les comptes de la Banque centrale sans en avoir le pouvoir légal. Il me semble que la Banque Centrale du Congo a un vrai problème car opérant dans l'illégalité la plus totale, et sans contrôle approprié tel que prévu par la loi.
Que conclure?
Un pays qui ne contrôle pas sa monnaie et son système financier, ne contrôle pas son économie. La monnaie est un levier important de gestion macroéconomique. Une politique monétaire crédible ne peut être menée au Congo tant que l'on n'aura pas rétabli la confiance dans le pays et dans sa gouvernance d'une part, d'autre part dans l'économie nationale et dans le franc congolais pour en faire la seule monnaie ayant court légal sur toute l'étendue de la République conformément à la Constitution. Il faut replacer la Banque Centrale dans la légalité pour qu'elle remplisse ses missions statutaires et que nous puissions attendre d'elle des résultats satisfaisants.
Si, au sortir de la deuxième guerre mondiale, les Allemands avaient réussi à sortir leur pays de la merde pour se donner une économie florissante et une monnaie nationale crédible, cela est tout à fait aussi possible dans ce mon pays, mais moyennant une certaine façon de faire les choses et de gérer le pays.
A mes compatriotes, je voudrais dire qu'une monnaie nationale crédible est tout à fait possible en RDC. Mais pour cela, nous devrons situer cette vision dans le cadre des réformes d'ensemble englobant la politique, l'économie et la monnaie.
Dr Noël K. Tshiani est un haut fonctionnaire international travaillant pour la Banque mondiale à Washington depuis 1992.
Son cursus universitaire comprend une formation de manager au Graduate Business School à Harvard University à Boston ; un doctorat en sciences économiques avec spécialisation en banques et finances de l'Université de Paris IX Dauphine; un M.B.A en banques et marchés financiers d'AdelphiUniversity à New-York ; un Diplôme d'Etudes Supérieures Spécialisées (D.E.S.S.) en gestion financière et fiscalité de l'Université de Grenoble ;un Diplôme de Troisième Cycle de l'Institut Supérieur de Gestion à Paris; et une Maîtrise en économie de l'Université de Liège.
Dr Noël K. Tshiani est l'auteur de trois livres intitulés : La bataille pour une monnaie nationale crédible (De Boeck, Bruxelles, Décembre 2012) ; Vision pour une monnaie forte: L'Harmattan, Paris, 2008) ; et Building Credible Central Banks (Hampshire-U.K., 2009).
-- © Le Potentiel
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